DE LA BOHÊME A LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
HISTOIRE
Situées au cœur de l’Europe, entourées par un cadre montagneux, possédant des cours d’eau importants, des forêts giboyeuses, des plaines fertiles et des minerais variés, la Bohême et la Moravie étaient destinées à attirer les invasions et à être écartelées entre des influences de toutes origines. Qu’elles aient formé un prestigieux État indépendant et conquérant ou qu’elles aient été placées sous une domination étrangère, elles n’ont pas cessé de se trouver sur les grands axes de la circulation européenne et de constituer un des terrains favoris de la lutte entre le slavisme et le germanisme.
1. Les origines du peuplement et les premiers États
Le peuplement préhistorique très ancien
est attesté en Moravie par les fouilles de Predmostí et la Vénus de Vestonice
(Paléolithique supérieur), et dans le nord de la Bohême par les urnes funéraires
de la civilisation lusacienne (âge du bronze). Vers la fin du Ier millénaire
avant J.-C., la domination des Celtes (dont une tribu – les Boïens – a donné son
nom à la Bohême) est remplacée par celle des Marcomans de Germanie, qui sont
eux-mêmes refoulés au IIe siècle de notre ère par les légions de Tacite et de
Marc Aurèle. La Bohême et la Moravie commercent alors activement avec l’Empire
romain. Cependant, les Slaves venus du nord-est s’y sont d’abord infiltrés, puis
installés par tribus entières, sans qu’on puisse déterminer les modalités de
leurs migrations (Kosmas, écrivant à la fin du XIe siècle, en a attribué
l’initiative à un ancêtre fondateur, Cech). Aux Ve et VIe siècles, ils y sont
bien enracinés, ce qui leur permet de refouler les Avars.
Ce sont alors des efforts répétés pour établir un État
indépendant. La première tentative est celle du «roi» Samo (625-658), qui
réussit à écarter l’emprise des Francs en battant les troupes de Dagobert. Puis
les pays tchèques retombent dans l’obscurité durant près de deux cents ans et ne
sont guère connus que par la légende – qui a si souvent inspiré le folklore et
l’art – du mariage entre la princesse Libuše et un laboureur désigné par la
providence, Premysl, souche de la dynastie qui allait régner jusqu’en 1306. Au
début du IXe siècle, ils sont sous la suzeraineté des Carolingiens, qui envoient
des missionnaires germaniques pour les convertir.
La seconde tentative est le fait d’une réaction politique,
nationale et religieuse. L’État de Grande-Moravie, gouverné par Rastislav
(846-870), se soustrait à l’autorité de Louis le Germanique et demande à l’Empire
byzantin des évangélisateurs de rite oriental et de langue slave: cette tâche
est confiée aux frères Cyrille et Méthode. Son territoire, outre la
Bohême-Moravie, comprend la Lusace, la Silésie, la Petite-Pologne, la Slovaquie,
la Pannonie et une partie de l’Autriche; de l’éclat de sa civilisation
témoignent les objets d’art et les bijoux trouvés à Staré Mesto et Mikulcice
dans la vallée de la Morava. Svatopluk (870-894), qui a renversé son oncle
Rastislav, reprend en fait la même politique, mais avec plus de souplesse envers
l’Empire germanique auquel il sacrifie la liturgie slave après la mort de
Méthode (885), faisant ainsi basculer les pays tchèques du côté du christianisme
occidental. Son État disparaît, peu après sa mort, sous les attaques des Magyars
qui tiendront la Slovaquie plus de mille ans (906).
2. La Bohême, puissance médiévale
L’ascension politique et les ambitions territoriales
L’État tchèque, gouverné par les
Premyslides à partir du Xe siècle, ne subsiste qu’en se plaçant sous la
protection du Saint Empire et du pape. L’Église romaine apprécie la piété et la
docilité du duc Václav Venceslas, fondateur de la première église Saint-Guy à
Prague, qu’elle canonisa et dont elle fit le patron de la Bohême peu après qu’il
eut été détrôné et assassiné en 929 par son frère Boleslav Ier (929-967).
Celui-ci et ses successeurs mènent une politique subtile qui a pour but non
seulement l’expansion territoriale (notamment aux dépens de la Pologne dont elle
détermine l’évangélisation), mais aussi l’autonomie ecclésiastique et une
relative indépendance envers la puissance germanique par la voie de la révolte,
ou de la négociation, ou de l’alliance. Cette politique, à côté de bien des
échecs, connaît de brillants succès. Boleslav II (967-999) obtient la création
de l’évêché de Prague (975) illustré à la fin du Xe siècle par saint Adalbert (Vojtech).
Vratislav II (1061-1092), qui a aidé l’empereur Henri IV à occuper Rome, reçoit
en récompense la couronne royale de Bohême à titre personnel (1085), comme la
reçoit de Frédéric Barberousse, en 1158, Vladislav II (1140-1172) dont les
troupes ont participé à la prise de Milan. Enfin Premysl Otakar Ier (1197-1230)
est reconnu comme souverain héréditaire et autonome – avec l’accord des nobles
de Bohême – par Philippe de Souabe (1198) puis par Frédéric II (Bulle d’or de
Sicile, 1212). Le royaume aura pour armoiries un lion d’argent sur champ de
pourpre.
Étourdis par ces succès, les souverains s’engagent dans une
politique de prépondérance en Europe centrale qui leur vaut du prestige mais
dépasse souvent leurs moyens. Premysl Otakar II (1253-1278) étend sa domination
au sud jusqu’aux abords de l’Adriatique. En 1273, il pose sa candidature au
trône du Saint Empire, mais sa puissance même amène les électeurs à lui préférer
l’obscur Rodolphe de Habsbourg. Celui-ci en profite pour lui prendre les terres
autrichiennes; allié à la Hongrie, il écrase l’armée tchèque à Dürnkrut (Suché
Kruty), bataille au cours de laquelle Premysl est tué. La lourdeur de la tutelle
germanique (régence d’Otto de Brandebourg) provoque une réaction nationale au
profit du jeune fils de Premysl, Venceslas II (1278-1305), qui parvient à
joindre à sa couronne celles de Pologne et de Hongrie. Succès sans lendemain,
puisque dès 1306 l’assassinat de Venceslas III, dernier représentant masculin
des Premyslides, provoque l’anarchie et ranime les ambitions des Habsbourg.
Pour y échapper, les nobles tchèques font appel à Jean de
Luxembourg (1310-1346), fils de l’empereur Henri VII et gendre de Venceslas II.
Ils peuvent croire, pendant son règne, qu’ils ont instauré la monarchie
aristocratique dont ils rêvaient. Jean laisse l’exercice du pouvoir aux chefs
des grandes familles (c’est l’un d’eux qui bénéficie de l’érection du siège de
Prague en archevêché), pour se lancer dans des entreprises désordonnées en
Pologne, Prusse, Lituanie, Italie. Devenu aveugle, il accourt néanmoins à l’aide
de Philippe VI de Valois, et c’est à Crécy que périt celui que son vainqueur,
Édouard III d’Angleterre, surnomma «le dernier des chevaliers». Associé au
gouvernement depuis 1333, son fils Charles Ier (1346-1378), empereur d’Allemagne
sous le nom de Charles IV, va porter la Bohême à son apogée.
La société
La vie économique est une des plus
florissantes de l’Europe médiévale. Les terres, dans leur grande majorité,
appartiennent à la Couronne, au clergé ou aux nobles, qui les font travailler
par des paysans peu à peu asservis. En échange de corvées sur la réserve
seigneuriale ou – de plus en plus – d’une redevance en argent, ceux-ci
exploitent des parcelles pour leur propre compte. À partir du XIIIe siècle, les
nobles font venir des colons allemands qui défrichent le sol et sont groupés en
villages de jus teutonicum. À côté des céréales se développent les plantes
textiles, le houblon, la vigne et les arbres fruitiers; dans le sud, la
pisciculture en étangs constitue une ressource d’appoint. L’aristocratie, qui
tend à se germaniser, s’appuie sur une clientèle de hobereaux, ou zémanes.
Les activités urbaines connaissent un brillant essor; malgré
les objections des nobles, les souverains accordent aux municipalités une
autonomie fondée sur le droit de Magdebourg ou de Nuremberg. Le patriciat qui
les domine est d’ailleurs en grande partie d’origine germanique. Dans les luttes
contre les artisans et contre une main-d’œuvre durement exploitée, il a l’appui
du roi (par exemple les maîtres drapiers à Prague en 1366). Par sa position de
carrefour, la Bohême est en relations avec presque tous les autres États
d’Europe. L’argent, avec lequel on frappe une monnaie très appréciée (le denier
et le groš , qui en vaut le quart), est extrait et fondu à Jihlava et surtout à
Kutná Hora, deuxième ville de Bohême; les codes de 1249 et de 1300 réglementent
les corporations de mineurs, placées sous la protection de sainte Barbe.
La vie spirituelle se concentre autour des églises et des
monastères de bénédictins (Brevnov, Rajhrad, et, pour le rite oriental, Sázava
où saint Procope est mort en 1053), de prémontrés (Strahov), de cisterciens (Sedlec),
etc. On écrit longtemps en latin (Chronique de Kosmas) ou en allemand; mais
l’esprit national et l’usage du tchèque se développent à partir de la fin du
XIIIe siècle (Cantique de saint Venceslas ; Chronique de Dalimil) pour triompher
au XIVe grâce au roi Charles, fondateur de l’université de Prague (1348).
3. Les menaces extérieures et la perte de l’indépendance
Divisions politiques et religieuses
Sous les médiocres successeurs de Charles,
les causes de faiblesse se font sentir plus nettement. Son fils Venceslas IV
(1378-1419) lutte contre le haut clergé et les nobles, la Hongrie et l’Autriche.
Incapable de faire face à la crise sociale et spirituelle qui agite le pays, il
retire son soutien à Jan Hus. Sa mort ouvre la période des guerres hussites, qui
favorisent les interventions étrangères et les ambitions de son frère et
successeur Sigismond (1420-1437), déjà empereur d’Allemagne et roi de Hongrie,
dernier représentant des Luxembourg.
Aggravées par les prétentions des grands, les menaces
viennent de toutes parts. Elles ne s’apaisent que sous Georges de Podebrady
(1458-1471), un noble très populaire qui propose un tribunal d’arbitrage pour
garantir la paix en Europe, mais se heurte à l’hostilité du Saint-Siège, en même
temps qu’il se voit amené à combattre les frères moraves. Après lui s’accentue
la prépondérance des nobles dans l’État, nominalement gouverné par deux rois de
la famille polonaise des Jagellons, Ladislas II (1471-1516) et Louis Ier
(1516-1526), qui sont aussi rois de Hongrie.
Domination indirecte des Habsbourg
Après la mort de Louis, battu par les
Turcs à Mohacs, l’élection de son beau-frère, Ferdinand Ier, comme roi de Bohême
(1526-1564), assure pour près de quatre siècles la domination des Habsbourg. Ils
se font reconnaître comme souverains héréditaires et pratiquent une politique
d’oppression, de germanisation et de reconquête catholique. Dès 1556, Ferdinand,
qui remplace son frère Charles Quint comme empereur d’Allemagne, installe à
Prague les Jésuites dans le couvent qui prendra plus tard le nom de Clementinum.
L’explosion du mécontentement national est retardée par
l’indolence de Rodolphe II (1576-1611), qui s’intéresse plus à l’alchimie qu’à
la politique ou aux progrès des calvinistes, et proclame la liberté des cultes
par les «Lettres de majesté» de 1609. Mais son frère Mathias (1611-1619),
installé à Vienne, remet l’administration entre les mains de catholiques dociles
et intolérants. À la destruction des temples, les protestants nationalistes
répondent par la défenestration de Martinice et de Slavata (23 mai 1618), la
constitution d’un gouvernement autonome et d’une armée sous le commandement du
comte Thurn: c’est le point de départ de la guerre de Trente Ans.
L’intransigeance de Ferdinand II (1619-1637) rend inévitable
la rupture complète: les insurgés, qui ont choisi comme roi un calviniste,
l’électeur palatin Frédéric, sont défaits aux portes de Prague (bataille de la
Montagne-Blanche, 8 novembre 1620). La répression frappe immédiatement les
meneurs (dont vingt-sept sont exécutés en place publique); la vente de leurs
biens fait la fortune de spéculateurs comme Wallenstein ou de nobles étrangers
(Schwarzenberg, Piccolomini, Colloredo).
La période des ténèbres
La Bohême, administrée depuis Vienne par
une chancellerie spéciale, selon la Nouvelle Constitution (1627), n’est qu’une
simple possession des Habsbourg. L’allemand, théoriquement à égalité avec le
tchèque, est la langue de l’administration et des classes cultivées; le
catholicisme, la religion d’État seule autorisée. Le clergé des autres cultes
est expulsé. Un édit de 1627 ordonne aux nobles et aux bourgeois de se faire
catholiques ou d’émigrer, tandis que les paysans sont tenus de rester. Au moins
150 000 personnes de toutes classes partent pour les autres pays d’Europe et
même pour l’Amérique: parmi elles, des artistes, des écrivains, l’illustre
humaniste et pédagogue Komenský (Comenius). Épuisée par cette ponction et par la
guerre, la Bohême perd, au milieu du XVIIe siècle, plus de la moitié de sa
population.
La Réforme catholique est introduite méthodiquement par les
Jésuites, qui inspirent la fondation d’églises, d’évêchés, de couvents, de
congrégations et de collèges, le culte nouveau de saint Jean Népomucène, la
diffusion de brochures et d’images édifiantes. La vie intellectuelle, qui avait
connu un développement remarquable depuis la création de la première imprimerie
(à Pilsen en 1468) et qui avait bénéficié de l’ascension de la bourgeoisie et
des controverses politico-religieuses, est paralysée pour un siècle et demi. Si
la vie artistique ne suit pas ce déclin, c’est que le baroque est comme ailleurs
au service du catholicisme.
La Bohême avait participé durant le XVIe siècle au bond en
avant de l’économie européenne. Les artisans à domicile fabriquaient pour de
riches entrepreneurs les draps, les toiles, les chapeaux, les objets
métalliques, exportés à travers le continent et aux colonies. Avec l’argent de
Jáchymov (Joachimsthal), on frappait des thalers de bon aloi; le traité
d’Agricola sur les mines et la métallurgie (1556) était étudié dans toute
l’Europe. Mais le XVIIe siècle est, dans ce domaine aussi, une période de recul,
surtout pour les paysans qui reversent à l’État et aux seigneurs jusqu’aux trois
quarts de leurs revenus. Ce «second servage» les conduit à des révoltes
sévèrement réprimées (pendaison de Kozina à Pilsen en 1695).
Le despotisme éclairé
Un réveil général s’esquisse au temps de
Marie-Thérèse (1740-1780) et de Joseph II (1780-1790). La perte de la Silésie
oblige les Habsbourg à améliorer leur gestion. Si la centralisation joséphiste
enlève à la Bohême ses dernières apparences d’autonomie, l’administration se
fait plus efficace, plus équitable. La révolte paysanne de 1775 conduit aux
«lettres patentes» de 1781 qui abolissent le servage (mais non le régime
féodal). L’intérêt pour l’agronomie se marque par l’introduction des cultures
fourragères, de la betterave sucrière et de la pomme de terre (venue du
Brandebourg, d’où son nom de brambor ). Les manufactures utilisent le travail
salarié: à Brno, douze fabriques de drap emploient plus de 10 000 ouvriers et
produisent plusieurs dizaines de milliers de pièces. La verrerie et la
cristallerie, souvent sous l’impulsion des nobles locaux, se concentrent dans le
nord de la Bohême (Bor, Jablonec).
La pénétration des Lumières est facilitée par la renaissance
de la bourgeoisie urbaine, l’élimination des Jésuites, l’édit de tolérance de
1781, l’intérêt pour les sciences (invention du paratonnerre par Divis; création
de la Société tchèque des sciences). Elle détermine à son tour un regain du
nationalisme littéraire: travaux linguistiques de Dobrovský (1753-1829),
inauguration d’une chaire de tchèque à l’université de Prague (1791).
4. La renaissance nationale
La génération des «Éveilleurs» et 1848
En dépit de l’autoritarisme étroit de
François Ier (1792-1835) et de Ferdinand V (1835-1848), la Bohême continue sa
modernisation économique et son retour aux sources nationales. La population
s’accroît rapidement: 6 millions d’habitants vers 1850. L’École polytechnique
est fondée à Prague en 1806. Les nouvelles usines emploient, à la grande colère
des ouvriers, des métiers mécaniques et des machines à vapeur, souvent d’origine
anglaise. Les voies ferrées font leur apparition: Vienne-Brno (1839),
Prague-Olomouc (1845), Prague-Dresde (1851).
Le mouvement des idées progresse avec vigueur, malgré la
censure et la police de Metternich. Les Tchèques ont connu les idées de la
Révolution française, la Grande Armée (bataille d’Austerlitz ou de Slavkov),
d’autres peuples slaves. Les intellectuels fondent des sociétés savantes (Musée
royal de Bohême; Matice ceská) qui se passionnent pour la culture tchèque:
langue (Jungman), histoire (Palacký), théâtre (Tyl), musique, folklore, poésie.
Pour affirmer l’existence d’une littérature ancienne, Hanka va jusqu’à fabriquer
– ou au moins remanier – les manuscrits de Dvur Králové qui seront acceptés
pendant plus d’un demi-siècle. La grande famille slave est célébrée par des
écrivains, venus souvent de Slovaquie comme Kollár et Šafarik. Les
revendications abordent le domaine politique avec le publiciste Havlícek, mais
s’en tiennent à un prudent «austroslavisme».
La Bohême est secouée depuis 1845 par la crise économique qui
sévit en Europe. Aussi les bourgeois libéraux, les étudiants et les ouvriers
adressent-ils une pétition à l’empereur, le 11 mars 1848. Les modérés se
contentent de promesses vagues: ils sont effrayés par les exigences des radicaux
(Arnold, Fryc) et les violents débats du Congrès slave de juin. La répression du
soulèvement populaire à Prague par Windischgraetz donne le signal de la réaction
en Europe. L’ordre est vite rétabli; seul résultat concret: l’abolition du
régime féodal et des corvées dans l’Empire (loi du 7 septembre 1848).
Une société nouvelle
Dans la seconde moitié du siècle, la
BohêmeMoravie est la principale base économique de l’Autriche-Hongrie. Le
charbon de Most, d’Ostrava-Karvina et de Kladno aide à l’implantation d’une
métallurgie moderne, près des lieux d’extraction ou des grandes villes: Škoda à
Pilsen, Société tchéco-morave de constructions mécaniques dans la banlieue de
Prague. Les capitaux indigènes rassemblés par la Zivnobanka (1868) ébranlent la
prépondérance germanique. La lenteur de l’évolution agricole libère une
main-d’œuvre abondante pour l’industrie; surabondante même, comme le prouve
l’émigration (vers l’Amérique), malgré laquelle la population atteint 9 millions
en 1890. C’est alors que se forme un prolétariat ouvrier, dont le poète S. Cech
a décrit la misère: le nombre des ouvriers triple entre 1860 et 1910. La
dépression de 1873-1878 accélère la concentration des entreprises.
L’esprit national n’a pas été étouffé par les déconvenues de
1848. Il est avivé par les transformations de la société, les difficultés de la
monarchie (Sadowa, 1866) et les concessions de François-Joseph (1848-1916), même
provisoires et partielles: Diplôme de 1860, loi scolaire de 1864 autorisant la
langue nationale dans les écoles primaires, compromis austro-hongrois de 1867,
rétablissement d’une université tchèque à Prague (1882). Il ne cesse d’être
incarné par des intellectuels, mais il gagne des couches plus larges de la
population, qui s’inscrivent à la société de gymnastique Sokol (1862) ou aux
chorales de Smetana, et participent à l’édification du Théâtre national
(1868-1883) ou à des manifestations de masse, les tábor (1868-1871). La
romancière B. Nemcová, avec La Grand-Mère , touche un vaste public.
Naissance d’une vie politique
La diffusion des idées nationales,
libérales et socialistes se traduit par la formation de partis constituant un
éventail de plus en plus ouvert. Les modérés ne réclament que l’autonomie – au
nom du droit historique – pour les pays de la couronne de saint Venceslas, qui
reconnaîtraient le Habsbourg comme roi. Mais l’évolution sociale et le conflit
des générations provoquent en 1873 une scission entre Vieux-Tchèques (nobles et
grands bourgeois dont le chef est Rieger, gendre de Palacký) et Jeunes-Tchèques
(les frères Grégr) qui se recrutent dans la bourgeoisie moyenne,
l’intelligentsia, les artisans, les petits propriétaires et pratiquent une
opposition décidée. Les Vieux-Tchèques se déconsidèrent en collaborant avec le
ministère Taaffe (1879-1894) et en ratifiant le dangereux compromis de 1890 qui
distinguait en Bohême une zone allemande et une zone germano-tchèque. Les
élections de 1889 à la Diète de Bohême et de 1891 au Reichsrat les écartent au
profit de libéraux «réalistes» comme Kramár et Masaryk.
L’agitation s’accroît dans les assemblées et dans la rue: en
1893, Prague est en état de siège; la société Omladina (Jeunesse) est
poursuivie. L’échec de négociations sur la parité linguistique (1897-1899)
exaspère l’opinion. Le mouvement ouvrier s’organise dans les zones
industrielles, parallèlement à des discussions ardues entre socialistes sur la
coexistence des revendications nationales et de l’internationalisme prolétarien.
Un petit groupe socialiste «tchéco-slave» apparaît en 1878. En 1887 est fondé à
Brno le Parti social-démocrate tchèque, mais il n’est qu’une section du Parti
social-démocrate de Cisleithanie. Aussi les patriotes se rassemblent-ils en 1897
dans un Parti socialiste-national, au moment où le gouvernement accorde – non
sans restrictions – le droit de vote aux ouvriers. Le retentissement de la
révolution russe de 1905 détermine François-Joseph à établir dans ses États le
suffrage universel (1907). Aux élections de 1911, pour ce qui est des pays
tchèques, le Parti social-démocrate est en tête avec 37 p. 100 des voix devant
le nouveau Parti agrarien et les Jeunes-Tchèques.
Vers 1914, le mécontentement est général et l’idée de
l’indépendance gagne du terrain, bien que soient rares ceux qui espèrent
l’obtenir rapidement par la menace, ou par l’effondrement de l’Autriche-Hongrie.
La guerre va donner à cette revendication un caractère plus immédiat et même
ouvrir la voie à la formation de la république Tchécoslovaque, pays formé par
deux nations slaves proches : Tchèques et Slovaques.
Tchécoslovaquie.
De la Tchécoslovaquie à la République Tchèque
Le 1er janvier 1993, la République
fédérative tchèque et slovaque cède la place à 2 États distincts, la Slovaquie
et la République tchèque, après 74 ans d’existence et au terme de 6 mois de
négociations entre les dirigeants tchèques et slovaques, mais sans que les
populations aient été consultées.
Le 26 janvier, les parlementaires tchèques élisent à la tête
de l’État Václav Havel. La Constitution tchèque, adoptée le 16 décembre 1992,
lui retire l’essentiel de ses prérogatives, au profit du Premier ministre Václav
Klaus.
Le 23 janvier 1996, Prague dépose officiellement sa demande d’adhésion à l’Union européenne et 2002, la république Tchèque répond favorablement a l'adhésion de leur pays dans la nouvelle Europe élargie de 2006