ITALIE - GEOGRAPHIE
Pays moyen par sa superficie (302 000 km2)
comme par sa population (57,3 millions d’habitants en 1992; densité: 190 hab./km2),
l’Italie a rejoint après la Seconde Guerre mondiale le groupe des pays
développés, se situant même au sixième rang des puissances mondiales, son P.N.B.
ayant dépassé le P.N.B. britannique en 1987. Ce qui n’empêche pas la persistance
de disparités fortes entre le Nord et le Sud, encore aggravées par la faiblesse
du pouvoir central romain. Alors que l’Italie peut se vanter de brillantes
réussites, il subsiste dans ce pays d’étonnantes faiblesses: la corruption
économico-politique, les difficultés à en finir avec le contre-pouvoir mafioso
et l’hostilité grandissante entre Nord et Sud, dont on ne pense pourtant pas
qu’elle se terminera par une implosion à la yougoslave.
L’Italie connaît bien d’autres problèmes. L’industrialisation
et l’urbanisation accélérées des années 1960 y ont entraîné des conséquences
dommageables pour l’environnement. Son économie, malgré son dynamisme, reste
globalement fragile. Par certains côtés, les aspects sociaux sont développés,
mais les hôpitaux sont parmi les moins performants d’Europe et les grèves ou
retards à répétition entachent l’image des transports ferroviaires ou aériens
(alors que le réseau autoroutier est un des plus denses du monde). L’Italie ne
cesse de se débattre avec des problèmes atypiques, une économie souvent «dans le
rouge», alors que, grâce à l’ingéniosité du peuple italien, des possibilités de
rétablissement existent presque toujours.
1. Des milieux physiques contrastés
Un climat agréable, bien que souvent
extrêmement chaud et sec en été, un ciel bleu, celui du «pays où fleurit
l’oranger» (encore que la culture des agrumes se limite à quelques littoraux),
si on oublie ses rudesses en montagne et son caractère fréquemment maussade en
hiver, en particulier dans la plaine du Pô, a depuis longtemps séduit les
conquérants, des Barbares à Napoléon, au-delà d’une barrière alpine plutôt
perméable. Le compartimentage du relief, hormis la très vaste plaine du Pô (50
000 km2), constitue à l’inverse un obstacle, de même que l’étirement en longueur
de la péninsule (par la route, Rome est à 668 km de Turin, à 703 km de Reggio de
Calabre, à 931 km de Palerme), même si celle-ci constitue un pont vers l’Afrique
et un point de passage (telle la Pouille) vers la Grèce et les Balkans. L’Italie
n’est donc pas une périphérie absolue de l’Europe, même si croissance et revenus
diminuent du Nord vers le Sud.
Mais elle est handicapée par bien des facteurs naturels: le
cloisonnement et le morcellement, mais aussi la fréquence des pentes dans un
pays où montagnes et collines représentent les trois quarts de la superficie, où
le déficit hydrique augmente vers le Sud, où les tremblements de terre, les
éruptions volcaniques et les débordements des fleuves sont monnaie courante.
L’Italie, globalement, «compte plus de collines pelées et de plaines longtemps
restées marécageuses que de riantes huertas». Enfin, les ressources minières
sont rares; les fées de l’époque carbonifère ne se sont guère penchées sur le
berceau de la péninsule.
Les Alpes , où vivent environ 3 millions d’Italiens, y
compris dans les grandes vallées d’origine glaciaire, annexes de la plaine du Pô
(Val d’Aoste, Val d’Adige...), constituent une chaîne arquée, des environs de
Vintimille à ceux de Trieste, dont la largeur s’accroît d’ouest en est, jusqu’à
dépasser 150 kilomètres au nord de Vérone, où les Hautes Alpes sont flanquées au
sud de Préalpes calcaires, dont les célèbres Dolomites (3 332 m), massives ou
déchiquetées; alors qu’en Piémont les Alpes cristallines tombent à pic sur la
plaine du Pô. Plusieurs sommets dépassent 4 000 mètres vers les frontières (mont
Blanc, mont Rose, Cervin...), mais les grandes vallées glaciaires, souvent
transversales, quelques-unes longitudinales, sont beaucoup plus basses (Bolzano,
à 150 km de la plaine du Pô, n’est qu’à 250 m d’altitude), tandis que l’altitude
des cols décroît d’ouest en est (mont Cenis, 2 083 m, Brenner, 1 374 m, Tarvis,
812 m). Des tunnels ferroviaires, puis routiers (après 1950) ont grandement
facilité l’accessibilité.
Les Alpes sont fraîches (il y subsiste quelques glaciers),
fortement arrosées, sauf certaines vallées intra-alpines où la vigne s’élève
parfois à plus de 1 000 mètres sur les adrets (Valteline). Si dans la montagne
on trouve l’étagement habituel – cultures et prairies, forêts de feuillus puis
de conifères, enfin alpages –, les cultures intensives sont l’apanage des
grandes vallées: pommiers et vignes du Val d’Adige. Les Alpes sont aussi un
château d’eau, réservoir d’électricité pour la plaine du Pô. Enfin, les glaciers
ont également modelé les célèbres lacs «lombards», étroits et allongés, profonds
de plus de 350 mètres – lac Majeur, lac de Côme, lac de Garde... – qui
bénéficient d’un remarquable privilège climatique, d’une végétation luxuriante,
et sont donc de hauts lieux touristiques.
L’ample plaine du Pô concentre l’essentiel de l’économie
italienne, du fait de sa planéité et de la relative proximité de l’Europe la
plus développée. Cette vaste zone de terres basses, séparée de la mer
Tyrrhénienne par l’Apennin ligure, s’ouvre largement sur l’Adriatique, dont elle
est un ancien golfe, comblé (parfois sur plus de 10 000 m!) par les alluvions
tertiaires et quaternaires issus des Alpes et des Apennins. Quelques collines
viennent interrompre la monotonie de la plaine: anciens volcans en Vénétie,
blocs soulevés du Montferrat en Piémont, collines morainiques d’Ivrée. Les
glacis alternent avec les terrasses étagées de la Lombardie, les plus hautes
étant assez pauvres. La plaine, dans l’ensemble monotone, est cependant plus
variée qu’il n’y paraît. La végétation est particulièrement vigoureuse,
verdoyante, dans la Bassa, la basse plaine lombarde; le delta du Pô est resté
longtemps marécageux. Le climat est plutôt de type continental, avec des hivers
froids (il fait aussi froid à Plaisance en janvier qu’à Berlin) marqués par des
brouillards givrants et des étés chauds (il fait aussi chaud à Milan en juillet
qu’à Naples), et surtout – originalité par rapport à l’Italie méditerranéenne –
une absence de saison sèche estivale: l’été lombard reçoit presque le quart des
précipitations annuelles, contre moins de 10 p. 100 dans le Midi extrême.
L’humidité caractérise la plaine du Pô, avec ses files de peupliers ou, de façon
plus localisée, ses canaux d’irrigation ou de drainage.
L’Italie péninsulaire s’organise à partir de la longue échine
de l’Apennin, véritable épine dorsale allongée sur plus de 1 000 kilomètres,
dont la surrection est récente. L’Apennin amalgame plusieurs unités
structurales: mince cordon ligure, abaissé à moins de 500 mètres entre Gênes et
la plaine du Pô, au col des Giovi; Apennin d’Émilie-Toscane, formé de terrains
schisteux tendres, culminant exceptionnellement à plus de 2 000 mètres; région
des Abruzzes, essentiellement calcaire, où la chaîne, dominant de grands
plateaux, culmine au Gran Sasso, à 2 914 mètres; Apennin de Lucanie (ou
Basilicate), principalement argileux; tandis que l’Apennin calabrais, porté à
près de 2 000 mètres par des failles récentes, de structure granitique, évoque
les massifs hercyniens de l’Europe centrale: la Sila, l’Aspromonte.
L’Apennin fait obstacle aux communications Nord-Sud (Bologne-Florence,
littoral ligure) comme à celles qui relient le littoral tyrrhénien et le
littoral adriatique; et ce, malgré la présence fréquente de bassins
d’effondrements, qui servent de relais en même temps que de lieux de villes et
d’agriculture plus intensive: bassins toscans, ombriens, bassins des Abruzzes
(L’Aquila), fossé de la «vallée Latine», entre Rome et Naples, du Crati en
Calabre.
Le climat, subhumide en Toscane, se fait plus rigoureux dans les Abruzzes, avec
de grands pâturages battus des vents, ou sur les hauts plateaux calabrais où les
forêts sombres contrastent avec les vergers d’agrumes en contrebas.
Globalement, l’Apennin se dépeuple, hormis ses bassins
intramontagnards où la vie se réfugie. Il reste un obstacle aux communications
malgré les grands travaux ferroviaires puis autoroutiers.
Les zones bordières sont plus simples du côté adriatique, qui
font succéder aux collines argilo-sableuses des Marches les plateaux calcaires
étagés de la Pouille. Le versant tyrrhénien est plus complexe, où alternent des
restes effondrés d’Apennin (collines Métallifères), des collines
argilo-sableuses du Pliocène (Toscane), des volcans éteints ou encore en
activité comme le Vésuve, des plaines littorales restées longtemps paludéennes
(sauf la plaine de Naples) comme la Maremme, les marais Pontins ou la plaine de
Métaponte, celle-ci sur la mer Ionienne.
Ici règne la végétation méditerranéenne, le plus souvent
dégradée, dans un contexte climatique où la sécheresse estivale s’accroît vers
le Sud jusqu’à atteindre quatre à cinq mois en Calabre. Aussi, sauf dans les
plaines et collines d’Italie centrale où une polyculture arborée sèche est
possible, les contrastes sont-ils frappants entre huertas irriguées florissantes
et collines pelées.
De nombreuses îles flanquent l’Italie, surtout dans la mer
Tyrrhénienne: Elbe, îles du golfe de Naples. Mais les deux grandes îles sont la
Sicile (25 426 km2) et la Sardaigne, à peine plus petite. Elles sont en fait
très différentes, d’abord par leur position, la Sicile n’étant séparée du
continent que par les 3 kilomètres du détroit de Messine. La Sardaigne,
quadrangulaire, est un morceau du domaine hercynien, avec vieux socles et
plateaux (Gennargentu, 1 834 m), épanchements volcaniques et fossé tertiaire du
Campidano. La Sicile, triangulaire, est plus complexe avec la chaîne littorale
au nord, l’énorme volcan actif de l’Etna (3 200 m) au nord-est, et surtout dans
tout l’intérieur un fouillis de collines argileuses tertiaires. La Sicile, en
outre, est d’une aridité «africaine», alors que les plateaux sardes, au maquis
exubérant, sont plus verdoyants.
2. Les hommes
Les aspects quantitatifs
La population est passée de 26,3 millions
d’habitants en 1861 à 56,3 millions en 1981 pour stagner ensuite (57,3 millions
en 1992). L’Italie traditionnelle était caractérisée par une forte croissance
due à un taux de natalité élevé (plus encore dans le Sud), entraînant une
importante émigration: entre 1861 et 1975, 29 millions de départs (mais près de
20 millions de retours) vers les Amériques, la France, la Suisse; tandis que les
migrations intérieures conduisaient déjà les Italiens des montagnes vers les
plaines, ceux des campagnes vers les villes, ceux du Sud vers le Nord.
Les années 1950-1970 ont été marquées par une importance considérable de l’exode
rural et des croissances urbaines, et surtout par l’afflux des Méridionaux
ruraux vers les villes industrielles du Nord-Ouest (2,8 millions d’immigrants
nets en vingt ans), mais aussi vers Rome, tandis que les expatriations
diminuaient.
En 1993, la situation démographique est très différente.
C’est d’abord la fin des «mammas», entourées d’une ribambelle d’enfants. En une
vingtaine d’années, ce pays à haute fécondité est peut-être devenu le moins
fécond du monde, avec moins de 1,3 enfant par femme. Le taux de natalité est
tombé vers 10 p. 1 000, pour un taux de mortalité de 9,5 p. 1 000. Il s’agit
d’un véritable phénomène de société, dû à l’enrichissement, à l’urbanisation, au
déclin de l’influence de l’Église. Les contrastes régionaux restent toutefois
marqués, avec un solde naturel qui demeure positif dans le Midi (et à Rome, à
cause de l’immigration méridionale), alors qu’il est négatif dans presque toutes
les régions du Nord.
Le grand courant migratoire du Sud vers le Nord a pris fin
vers 1973, avec la crise, si bien que la plupart des régions du Centre et du
Nord perdent des habitants, parfois gravement comme en Ligurie, ce qui n’est
peut-être pas étranger à la montée du racisme «anti-Sud». Quant aux migrations
internationales, le renversement de tendance est très remarquable, l’Italie
devenant peu à peu un pays d’immigration et attirant des Arabes, des Noirs,
voire des ex-Yougoslaves. Au total, les étrangers, dont beaucoup de clandestins,
sont peut-être un million (on peut voir des bergers maliens sur les pâturages du
Gran Sasso).
L’Italie reste un pays densément peuplé, environ deux fois
plus que la France, mais avec des différences considérables entre la Sardaigne
montagneuse ou le Val d’Aoste (35 hab./km2 environ) et la province de Naples
(plus de 2 000 hab./km2).
Les aspects qualitatifs: le «tempérament» italien
Malgré de considérables différences
régionales, il existe un caractère italien moyen, marqué par l’individualisme et
la vivacité, la gentillesse et la bonne humeur, l’ouverture aux autres, mais
aussi l’indiscipline ou le manque du sens de l’État.
La société italienne a été longtemps, et reste, marquée par l’influence de l’Église
catholique; par le poids de la famille, des enfants, de la femme, au statut
ambigu, chez un peuple réputé «macho»; par celui des réseaux d’influences et de
clientèles. Les rapports sociaux sont très personnalisés, autant dire qu’une
partie des promotions, dans la fonction publique ou ailleurs, se fait par
relations ou d’après les sympathies politiques ou religieuses. Ces caractères
clientélistes s’accentuent à mesure qu’on va vers le Sud.
La diversité régionale
L’unité italienne a été tardive
(1860-1871). Elle laisse place à d’importants particularismes, parfois de ville
à ville («campanilisme»), souvent de région à région, sans parler du grave
problème des relations entre le Nord et le Sud.
La régionalisation, succédant au centralisme mussolinien,
s’est développée de 1946 à 1977, en commençant par cinq régions à statut
spécial, aux pouvoirs plus étendus: Val d’Aoste, de tradition francophone;
Trentin-Haut-Adige, avec la province de Bolzano, ancien morceau d’Autriche,
largement germanophone; Sicile ; Sardaigne; enfin Frioul-Vénétie Julienne, après
le règlement du contentieux italo-yougoslave en 1963.
Le principal problème est celui des relations entre le Nord et le Sud, avec de
grandes disparités économiques et des différences de mentalités. En gros, le Sud
est presque deux fois moins développé que le Nord, le taux de chômage y est
double, l’esprit d’entreprise y est moins marqué; les Nordistes accusent les
Méridionaux de constituer pour eux une lourde charge (excès de fonctionnaires,
chômeurs et autres assistés) et voient dans la Mafia sicilienne, ou ses
équivalents napolitains (Camorra) ou calabrais (N’Drangheta), le symbole d’un
sous-développement criminel, ce qui est vrai, mais pas dans tout le Sud.
Les origines du particularisme et du sous-développement
méridional, amplifiés par une nature souvent ingrate, semblent remonter au Moyen
Âge, avec l’établissement puis la consolidation du régime féodal sous les
Normands, les Angevins, les Espagnols. Alors que les villes du Nord
s’affranchissent tôt de la tutelle des féodaux et que les bourgeois prennent en
main le destin des villes du brillant quadrilatère Milan-Venise-Florence-Gênes,
le Midi (Mezzogiorno), pourtant précocement unifié, s’enlise sous les
dominations étrangères, le régime du latifundium ou des plèbes urbaines de type
napolitain. L’unité italienne sera un «Marché commun manqué» (F. Gay et P.
Wagret), où les plus pauvres seront écrasés par les Nordistes plus puissants, et
surtout par les Italiens du «triangle» (dont les sommets sont Turin, Milan,
Gênes) qui s’ouvre sur l’économie capitaliste européenne entre 1880 et 1900.
Sous le régime fasciste, le Nord se développe, mais le Midi régresse. La
politique d’aménagement du Midi, à partir de 1950, ne conduit pas à la parité.
Phénomène tout aussi grave, les mentalités restent différentes. Gens du Nord et
du Sud ne s’aiment guère. Dès les années 1950 fleurissaient à Turin ou à Milan
des écriteaux: «Appartement à louer, sauf à des Méridionaux.» Aujourd’hui, on
entend dire que les gens du Sud sont d’une autre race («ce sont des Arabes»!) et
qu’il faudrait construire un grand mur au sud de Florence pour endiguer leur
venue (à la vérité, bien ralentie). Reste l’inquiétant développement des ligues
du Nord, à commencer par la Ligue lombarde, qui font preuve de racisme à l’égard
de leurs propres concitoyens, s’en prennent aussi aux politiciens romains
accusés, non sans quelque raison, de «mauvais gouvernement», et démontrent
surtout que l’Italie n’est pas encore un pays aussi solide que la France.
3. Les milieux humains: villes et campagnes
Les villes
Il n’existe pas de définition officielle
des villes ou agglomérations; la distinction entre le bourg peuplé de paysans
(en Italie, on ne trouve pratiquement pas l’équivalent des villages français) et
la petite ville paraît délicate. En essayant de se rapprocher des critères
français, on arrive en gros à 73 p. 100 de population urbaine.
Le réseau urbain, souvent de très antique origine, romaine ou
préromaine, peu marqué par la première révolution industrielle, comprend d’abord
un nombre très élevé de petites villes, à peine moins nombreuses dans le Sud, où
elles sont plus souvent littorales, que dans le Nord. Une cinquantaine de villes
dépassent 100 000 habitants, dont onze ont entre 200 000 et 500 000 habitants,
et trois le million, que frôle aussi Turin. Mais les agglomérations dépassent
souvent, sauf à Rome, les chiffres de la commune-centre: autour de 5 millions
pour l’agglomération milanaise, 2,5 millions pour celle de Naples, 1,8 million
pour Turin.
Les petites villes ou les villes moyennes sont parfois
industrielles (Ivrée, Prato), parfois touristiques (Viareggio, Rimini), le plus
souvent tertiaires, centres de commerce et de services, avec parfois la présence
d’universités ou de sièges sociaux de firmes importantes (Olivetti à Ivrée,
Ferruzzi à Ravenne). La Pouille, la Basilicate, la Sicile se caractérisent par
la présence de «villes rurales», longtemps peuplées majoritairement de paysans.
La vitalité des métropoles régionales étonne, qui sont à la
tête de sièges sociaux importants (Fiat et la S.I.P., la société de téléphone, à
Turin), de réseaux de presse, d’institutions culturelles et de grands musées, de
foires (Bari, Vérone), de grands carrefours ferroviaires et autoroutiers
(Bologne, Vérone), d’aéroports (Naples, Palerme, Catane). Les géographes
italiens proposent le classement suivant: six métropoles régionales secondaires
(Brescia, Vérone, Tarente, Messine, Catane, Cagliari); huit métropoles
régionales (Turin, Gênes, le couple Venise-Padoue, Bologne, Florence, Naples,
Bari, Palerme); sans parler des «deux capitales», Rome et Milan. Toutes ces
villes, où le taux d’activité décroît du Nord au Sud, sont aujourd’hui à
dominante tertiaire, même Turin où le secteur secondaire ne l’emporte que dans
la cintura .
Rome et Naples sont donc les deux capitales. Rome est la
capitale politique, celle aussi de la chrétienté, en même temps que le premier
centre touristique (12 millions, contre 20 millions à Paris). Parallèlement, la
ville, souvent jugée parasitaire, possède les sièges sociaux des grands holdings
d’État (I.R.I., E.N.I.) et développe timidement sa fonction industrielle (haute
couture, logiciels). Milan, à la tête de la région urbaine la plus importante,
reste la capitale économique, avec la première Bourse et la première banque
d’affaires du pays (la Commerciale), les sièges des principales firmes privées,
notamment les multinationales étrangères (29 p. 100 des grandes sociétés contre
11 p. 100 à Rome), tandis que la banlieue accumule grosses usines (Alfa Romeo,
Montedison, Magneti-Marelli, sidérurgie Falck) et nombreuses P.M.I. D’après R.
Brunet et le Groupement d’intérêt public Reclus, Milan se classe au troisième
rang des villes européennes – il est vrai, assez loin derrière Londres et Paris
–, tandis que Rome n’est que septième.
Les paysages urbains sont le plus souvent remarquables, même
s’il existe quelques villes (dont peut-être Milan) assez banales, et beaucoup de
banlieues grandies trop vite. Mais, en général, on retrouve la trace d’un riche
passé médiéval, souvent complété par des édifices Renaissance (Florence, Venise)
ou baroques (Rome, Naples), ou encore néo-classiques (Turin), ou quelques
bâtiments modernes. Rome, Florence, Venise et quelques petites cités sont sans
doute parmi les plus belles villes du monde, même si la croissance des
périphéries a été souvent anarchique et si la maîtrise de l’espace urbain,
notamment en matière de circulation et de pollution, reste mal contrôlée.
Les campagnes
Même si elles se dépeuplent, sauf aux
abords des villes où la périurbanisation est intense, les campagnes restent
originales et très diverses.
Les campagnes extensives sont d’abord celles des montagnes
pastorales: Alpes en dehors des grandes vallées très cultivées, Apennin du Nord
avec élevage bovin laitier, Abruzzes et Calabre où se côtoient vaches grises et
moutons transhumants, Sardaigne surtout où la transhumance ovine (un tiers du
troupeau italien) conduit pasteurs et troupeaux des hauteurs du Nord vers la
plaine, imparfaitement bonifiée, du Campidano. Les collines argileuses sèches de
la péninsule, des Crêtes siennoises à la Basilicate, ou de l’intérieur sicilien,
font alterner, sur fond de latifundium, céréaliculture extensive (blé dur,
fèves) et élevage surtout ovin. Le paysage dénudé s’organise autour de quelques
grosses fermes, les masserie , et surtout d’énormes villages souvent perchés,
éloignés des champs, où vivent les braccianti , c’est-à-dire les journaliers.
Malgré les réformes agraires, la grande propriété reste vivace dans une bonne
partie du Mezzogiorno.
Des paysages plus intensifs sont ceux de la polyculture
arborée d’Italie centrale, des plantations de la Pouille, des rivieras sèches ou
souvent irriguées, tandis que les bonifications ont introduit des paysages
nouveaux et que la plaine du Pô est presque partout intensive.
Plaines et collines de Toscane, d’Ombrie et des Marches se
caractérisent par un paysage arboré de polyculture généralement sèche (blé,
luzerne, vigne, olivier), même si la coltura promiscua étagée est en voie de
disparition. L’habitat, à part les castelli (bourgs fortifiés) et bourgs, est
essentiellement dispersé, héritage de l’ancienne mezzadria (métayage) qui a
régné du XIIIe siècle à 1950-1960. Ces terres restent celles du «beau paysage»,
encore anobli par les fattorie (grandes fermes) des propriétaires qui associent
villas et bâtiments agricoles.
Si la tendance est à la spécialisation (vignoble du Chianti),
rares sont en Italie les régions de monoculture arborée ou viticole. La Pouille
s’en rapproche le plus, qui fait alterner sur les Murge les oliviers géants et
les champs de vigne. Orientée vers les cultures d’exportation, la Pouille se
caractérise pourtant, comme les régions de latifundium extensif, par la présence
de braccianti concentrés dans des villes rurales.
Le paysage intensif du «jardin méditerranéen » (E. Sereni)
comprend à la fois des rivieras arborées non irriguées, des rivieras irriguées
et des plaines irriguées. La Ligurie est le domaine de l’olivier, la côte
amalfitaine, les rivieras calabraises, plus encore la Conca d’Oro palermitaine
ou les basses pentes de l’Etna celui des agrumes, tandis que la plaine de Naples
fait alterner tomates, primeurs et pêchers. Des plantes variées, éventuellement
sur des terrasses, poussent dans un aimable désordre. Ce paysage est d’origine
grecque, et l’irrigation a été perfectionnée par les Arabes. Mais ce jardinage
reste trop traditionnel et se heurte à la très petite taille des exploitations:
un paysan pour 2 hectares dans la plaine de Naples.
Les bonifications , en partie liées aux réformes agraires,
ont aussi transformé le paysage dans un sens intensif. Après la déprise qui fait
retourner au marais les plaines cultivées par les Étrusques et les Romains, des
bonifications ponctuelles s’échelonnent du Moyen Âge au XIXe siècle. Mussolini
assèche les marais Pontins au sud de Rome. Surtout, la réforme agraire de 1950,
qui porte sur 767 000 hectares redistribués entre cent treize mille
propriétaires (essentiellement dans le Sud, mais aussi en Maremme et dans le
delta du Pô), s’est accompagnée jusque vers 1960 d’une bonification «intégrale»:
assèchement des marais, reforestation des collines, création de routes,
construction de maisons neuves isolées ou regroupées dans des centres de
services. Les canaux ponctuent les plaines anciennement marécageuses, avec des
paysages pourtant divers: plaines nues à blé et betteraves comme vers Grosseto
en Maremme ou dans les récents polders ferrarais (qui datent du début du XXe
siècle), vergers dans la plaine de Metaponte, sur la côte ionienne.
La plaine du Pô est à elle seule un monde complexe, mais
presque partout intensif. La monoculture ne domine que dans les régions de
rizières, vers Verceil et Pavie, alimentées par des canaux comme le canal
Cavour. La Bassa lombarde est le pays des prairies irriguées à forte
productivité, fournissant plusieurs coupes de foin (les bovins sont à l’étable).
La polyculture domine souvent, du Piémont aux paysages parfois aquitains, à la
Vénétie où le maïs l’emporte sur le blé, l’élevage étant partout associé à la
culture. La Romagne, à l’est de Bologne, est plutôt le pays des grands vergers,
de pommiers, de pêchers, mais aussi de la vigne, tandis que de grands champs nus
céréaliers flanquent une partie des polders adriatiques. Le métayage a longtemps
caractérisé l’Émilie-Romagne, la petite propriété la Vénétie, tandis que la
Lombardie est le pays du fermage avec de très grosses fermes de brique, naguère
aussi peuplées que des villages, les cascine .
4. L’économie
Les bases
Les ressources naturelles sont assez
médiocres: pour l’agriculture, un remarquable potentiel de production dans les
régions irriguées, mais faible dans les montagnes et collines sèches ou les
marais non aménagés; pour l’industrie, un manque de charbon et de fer, ces
éléments de base de la première révolution industrielle, tandis que l’Italie
était mieux armée au XXe siècle grâce à l’hydroélectricité alpine, puis
accessoirement au méthane d’abord recouvert dans la plaine du Pô (Cortemaggiore)
vers 1950. Les exploitations du charbon sarde, du fer de l’île d’Elbe, de la
bauxite de la Pouille, du mercure du Sud-Siennois ont été arrêtées (ou quasi
arrêtées) dans les années 1980, mais déjà antérieurement l’Italie importait
presque tout son minerai et son pétrole par mer, d’où l’industrialisation
portuaire, mais aussi un fort taux de dépendance, aggravé par le refus du
nucléaire à la suite d’un référendum.
Les voies de communication constituent une autre base,
indispensable à une économie largement ouverte.
Les ports sont nombreux, à hinterland principalement
régional, et grandement animés par le trafic pétrolier, parfois minéralier. Les
importations (230 Mt en 1992) dépassent largement les exportations (42 Mt). Le
premier port reste Gênes (33 Mt), en crise, devant Trieste (31 Mt), le port
minéralier de Tarente (23 Mt), les ports pétroliers d’Augusta en Sicile, Porto
Foxi en Sardaigne (vers Cagliari), puis Venise et Ravenne, tandis que Naples
n’assure plus qu’un trafic de 9 millions de tonnes.
Les communications terrestres, longtemps déficientes, ont été
marquées après 1950 par un remarquable développement du réseau routier et
autoroutier, ce dernier, le deuxième d’Europe, avec de remarquables ouvrages
d’art (entre Bologne et Florence, en Ligurie, etc.). La route est partout
dominante, mais les chemins de fer envisagent la construction de lignes à grande
vitesse, le long de leurs principaux axes qui sont Turin-Milan-Venise et
Milan-Bologne-Florence-Rome-Naples.
Le trafic aérien ne dispose pas de très grands aéroports,
comparables à ceux de Londres ou de Paris (17 millions de voyageurs à Rome, 12
millions à Milan).
Les bases humaines et économiques . L’Italie a, surtout dans
le Centre-Nord, une longue tradition de fabrications de qualité et de dynamisme
commercial. Cette tradition d’ouverture se retrouve aujourd’hui à l’exportation
et pour la vente de services, par exemple de type ingénierie, vers l’ex-U.R.S.S.
ou les pays du Tiers Monde.
Une base du dynamisme italien est celui de ses entrepreneurs,
grands ou petits. On connaît le dynamisme des grands condottieri: Giovanni
Agnelli (Fiat), Raul Gardini (groupe Ferruzzi) jusqu’à sa tragique disparition
en 1993, Carlo De Benedetti (Olivetti), Silvio Berlusconi (télévision).
D’autres, issus de P.M.I., ont pu s’élever au rang des grands, comme Luciano
Benetton, aux célèbres tricots, parti d’une assez modeste entreprise de Trévise.
Le secteur d’État a pu avoir aussi ses condottieri, comme Enrico Mattei (mort en
1962 dans un accident d’avion), qui, chargé de liquider l’A.G.I.P. fasciste, en
fit au contraire le puissant E.N.I. Mais le plus remarquable est peut-être le
dynamisme de ces modestes entrepreneurs qui, dans le Nord et le Centre surtout
(mais non exclusivement), créent de petits ateliers vivaces, à la ville ou à la
campagne, les capannoni , largement tournés vers l’exportation.
La main-d’œuvre, hormis peut-être dans le secteur public où
la fréquence des grèves «se révèle inversement proportionnelle à la pénibilité
du travail», est à la fois laborieuse et ingénieuse, y compris celle qui
travaille au noir, dans le cadre de l’économie parallèle (ou souterraine): au
moins 4 millions de personnes pratiquent un double métier; en outre, 7 à 8
millions de femmes, d’enfants mineurs, de chômeurs travaillent à temps partiel
sans être déclarés.
Sur le plan économique, l’Italie, démentant sa réputation de
cigale, dispose d’un des taux d’épargne les plus élevés du monde, supérieur même
à celui du Japon. Mais il est vrai qu’une partie de cette épargne s’investit en
bons du Trésor, pour financer le considérable déficit de l’État (qui représente
au moins une année de P.N.B.) tandis que le marché financier reste étroit et la
Bourse de Milan assez secondaire.
Le rôle de l’État . L’Italie, malgré des velléités récentes
de privatisation, reste un pays relativement étatisé, avec un nombre élevé
(quelque 5 millions) de fonctionnaires d’État ou locaux et d’employés des
services publics, le taux des fonctionnaires croissant du Nord vers le Sud.
Le secteur public industriel (750 000 emplois) comprend l’I.R.I.
(Istituto per la ricostruzione industriale), mis en place en 1933 pour la
reprise d’entreprises menacées par la crise, vaste holding qui coiffe la
sidérurgie, les chantiers navals, des entreprises mécaniques, des usines
d’aviation, beaucoup d’autoroutes; l’E.N.I. (Ente nazionale idrocarburi, 1953),
également d’origine mussolinienne (A.G.I.P., 1926), surtout dans le secteur du
pétrole et du gaz naturel et de la chimie; tandis que l’électricité a été
nationalisée en 1962 (E.N.E.L.). Ces grands organismes, parfois associés en
joint-venture à des firmes privées (Enimont), jouent un rôle fondamental.
Enfin l’État, même s’il est aujourd’hui de plus en plus
relayé par les régions, a joué et joue un rôle majeur dans l’aménagement du
territoire, principalement (mais non exclusivement) dans le Sud. Les années 1950
voient se mettre en place, outre la réforme agraire, la Cassa per il Mezzogiorno
(devenue en 1986 l’Agenzia per il Mezzogiorno) et différentes formes d’aide à
l’industrialisation du Sud. Des investissements directs des firmes nationalisées
permettent la création de complexes sidérurgiques (Tarente) et surtout
pétroléochimiques, dans les principaux ports, tandis que les aides autorisent
l’installation de firmes privées, nationales (Fiat, Olivetti...) ou étrangères.
Le Sud, sous-industrialisé, s’est modernisé, surtout entre 1960 et 1973, même si
ces vastes «cathédrales dans le désert» n’ont pas toujours entraîné la création
attendue de P.M.I. sous-traitantes.
Structures, productions, problèmes
L’agriculture
Le secteur agricole emploie aujourd’hui moins de 10 p.
100 des actifs, seulement 4 p. 100 en Lombardie, mais beaucoup plus dans le Sud,
et même 18 p. 100 en Basilicate. Néanmoins, il subsiste une surcharge en hommes
(14 pour 100 ha), surtout dans le Midi. La taille moyenne des exploitations
reste insuffisante, malgré le latifundium, et ne dépasse pas 7,5 hectares dont 5
hectares de surface agricole utile (S.A.U.), avec de grosses diversités
régionales. S’agissant des modes d’exploitation, le métayage d’Italie centrale a
disparu depuis les années 1960, le faire-valoir direct s’est accru, mais surtout
les grandes exploitations salariales se sont développées. Le nombre des
exploitations est tombé de 4,3 millions en 1960 à moins de 3 millions, tandis
que la S.A.U. se réduisait comme une peau de chagrin, de 4,5 millions d’hectares
en trente ans, en commençant par les zones déshéritées de la montagne et de la
haute colline.
L’agriculture, globalement importatrice, fournit 9 à 10
millions de tonnes de blé, trois fois moins qu’en France, dont la moitié de blé
dur, principalement dans le Sud; 6 millions de tonnes de maïs, surtout dans la
plaine du Pô; 1 million de tonnes de riz, dans une partie de la même plaine du
Pô, vers Verceil et Pavie; de la betterave à sucre, surtout en Émilie-Romagne et
dans les Marches; des oléagineux comme le colza, le soja, encore principalement
dans la plaine du Nord. La Campanie et la Pouille fournissent la plus grande
partie des légumes méditerranéens (tomates, aubergines) et de nombreux fruits;
mais la Romagne et le Haut-Adige possèdent aussi d’importants vergers (le tiers
des pommes italiennes vient du Haut-Adige). Les agrumes, dont l’Italie est le
quatrième producteur mondial, proviennent surtout des rivieras siciliennes (70
p. 100 des oranges et 90 p. 100 des citrons). Si l’olivier n’assure qu’un rang
honorable, grâce à la Pouille, l’Italie est devenue, aux dépens de la France, le
premier producteur mondial de vin (70 millions d’hectolitres), avec en tête la
Pouille et la Sicile, au détriment des régions du Nord, naguère plus importantes
(Piémont). L’élevage bovin, stagnant depuis la guerre (9 millions de têtes), est
localisé surtout dans les Alpes et la plaine du Pô, tandis que l’élevage ovin,
un peu comme le blé dur, est plus méridional: un tiers du troupeau se trouve en
Sardaigne. Enfin, aux marges de l’agriculture, la forêt est assez peu
productive, et la pêche l’est peu pour un pays aux façades maritimes aussi
longues. Par contre, l’Italie possède d’importantes industries agroalimentaires,
en Lombardie, en Émilie-Romagne (la Barilla à Parme, numéro un mondial des pâtes
alimentaires), voire dans le Midi (conserves Cirio à Naples).
L’industrie
Les structures sont éminemment «duales», opposant quelques
très grands groupes, publics ou privés, à un très grand nombre de P.M.I.,
parfois sous-traitantes des premiers. Dans le secteur public, l’E.N.I. (200 000
salariés) opère dans le domaine de l’énergie et de la chimie lourde,
éventuellement en joint-venture avec des firmes privées. L’I.R.I. est un holding
très diversifié, qui coiffe différentes sociétés dans la sidérurgie (Ilva, ex-Italsider),
les chantiers navals (Fincantieri), les constructions mécaniques (Finmeccanica),
l’aviation (Aeritalia, Alitalia), les autoroutes, etc., avec quelque 500 000
salariés.
Le principal groupe privé est la Fiat, fondée à Turin en
1899, qui a employé jusqu’à 300 000 personnes, dont plus de 50 000 à Turin,
avant de se déconcentrer vers d’autres villes de la plaine du Pô, du Centre puis
du Sud et à l’étranger (acquérant par exemple un temps la firme espagnole Seat).
L’automobile reste l’activité dominante, avec un quasi-monopole en Italie depuis
le rachat de Lancia et d’Alfa Romeo, mais le groupe est aussi actif dans les
poids lourds, tracteurs, le matériel ferroviaire, l’ingénierie, voire
l’industrie alimentaire et la presse (la Stampa , le Corriere della Sera ). Le
groupe Carlo De Benedetti, lui aussi diversifié, est cependant centré sur
l’informatique (Olivetti) ainsi que les accessoires automobiles (Valéo en
France). Le groupe Berlusconi est surtout connu pour ses chaînes de télévision
privées; à Milan, il contrôle aussi les éditions Mondadori, tandis que le groupe
Ferruzzi, parti de l’agroalimentaire (soja, sucre, bois), a en grande partie
racheté la puissante société chimique Montedison.
Bien qu’il existe beaucoup d’autres sociétés importantes
(ainsi Pirelli, dans les pneumatiques, à Milan), l’originalité italienne réside
dans l’essor des P.M.I., un peu à la façon du Japon ou de la Corée. Ces P.M.I.
peuvent se spécialiser dans la sous-traitance mécanique ou électrique (en
Piémont, en Lombardie), mais surtout dans la production de biens de consommation
tels que le textile ou la confection: laine à Biella en Piémont, à Prato en
Toscane, tricots à Carpi au nord de Modène (Émilie), jeans à Urbania dans les
Marches, chaussures, ou Fermo dans les Marches l’emporte de plus en plus sur
Vigevano, au sud de Milan, meubles dans la Brianza, au nord de Milan, mais aussi
dans diverses petites villes de Toscane; tandis que la sous-traitance mécanique
ou électronique est surtout développée dans le Nord-Ouest.
Prato, à 15 kilomètres de Florence, capitale mondiale de la
laine cardée, passée de 50 000 habitants vers 1950 à 170 000 en 1993, offre un
exemple typique de ces structures où, sur les 50 000 salariés du textile, 40 000
travaillent dans des entreprises de moins de dix salariés, souvent étroitement
spécialisées dans une phase du processus de production, mais complémentaires les
unes des autres. La géographie des P.M.I. et de l’indotto (sous-traitance) – et
donc souvent du travail au noir – concerne principalement la «troisième Italie»,
plaine du Pô orientale, Toscane et Marches, mais existe aussi dans le triangle
industriel, le long de l’Adriatique jusqu’à la Pouille, et même dans le Midi
napolitain.
Les productions industrielles paraissent relativement
spécifiques. L’industrie lourde se fonde sur la sidérurgie, principalement mais
non exclusivement, d’État (Falck, groupe privé, au nord de Milan, ou les petits
producteurs performants de la région de Brescia). L’essentiel de la sidérurgie,
dont la production atteint 20 millions de tonnes d’acier, soit plus qu’en
France, est cependant étatisée et littorale, avec comme centres principaux,
depuis la fermeture de Naples-Bagnoli en 1991, Gênes-Cornigliano, Piombino en
Toscane et surtout Tarente. La métallurgie des non-ferreux reste assez modeste
(aluminium à Bolzano, à Porto Vesme en Sardaigne), tandis que la production de
ciment est plus importante qu’en France.
La chimie de base, pétroléochimie et dérivés, est
essentiellement installée près des raffineries portuaires, plus rarement
continentales (Rho, dans la banlieue de Milan), et dépend de grands groupes
souvent alliés comme l’E.N.I. (public), la Montedison (privée) ou des firmes
anglo-saxonnes. Le Midi, dans ce domaine, n’est pas trop défavorisé, avec de
grandes raffineries et des complexes pétroléochimiques installés par exemple
vers Naples, dans la Pouille (Manfredonia, Bari, Brindisi), en Sicile (Augusta,
Gela) ou en Sardaigne (vers Cagliari et Porto Torres).
Les constructions mécaniques et électriques représentent un
point fort de l’industrie italienne. Alors que les constructions ferroviaires
(Fiat, Breda), les chantiers navals et les constructions aéronautiques (Aeritalia
à Naples) sont relativement peu importantes, le groupe Fiat emploie plus de 200
000 salariés dans une vingtaine de localités italiennes, dont jusqu’à 50 000 ont
été employés dans la grande usine de Mirafiori, au sud de Turin. L’Italie
produit aussi des machines-outils (Fiat, et de nombreuses P.M.I.), des appareils
ou des éléments électromagnétiques (Magneti Marelli, dans la banlieue de Milan),
des machines à café, des machines à coudre (Necchi, à Pavie), et se situe à un
rang honorable dans l’informatique, surtout grâce à la firme Olivetti.
Parmi les industries dites légères, on note le bon
comportement des industries agroalimentaires, surtout puissantes dans le Nord
(la Barilla, de Parme, première usine mondiale pour les pâtes alimentaires; le
groupe Ferruzzi, déjà évoqué). Le textile, la confection, le cuir, les meubles
caractérisent surtout la «troisième Italie». Parmi les industries modernes,
néotechniques, la pharmacie et la chimie fine sont surtout présentes à Milan, à
Rome, en Toscane; l’informatique l’est à Turin, à Milan, mais aussi à Rome, dans
la Tiburtina Valley, à l’est de la capitale. Les parcs technologiques se situent
essentiellement dans le Nord (à Turin, Milan, Bologne, Trieste), avec une
exception remarquable à Bari.
Au secteur industriel proprement dit il faut ajouter celui,
très important, du bâtiment et des travaux publics. Le secteur secondaire,
globalement, emploie 30 p. 100 des actifs (moins que vers 1960), mais dont 60 p.
100 sont concentrés dans le Nord, avec un taux d’actifs du secondaire
généralement supérieur à 30 p. 100 (plus de 40 p. 100 en Lombardie), contre
moins de 20 p. 100 au Latium, en Campanie, en Calabre, en Sicile et en
Sardaigne.
Le secteur tertiaire
Aujourd’hui prédominant (près de 60 p. 100 des actifs), il
offre également plusieurs visages, entre un Nord au tertiaire supérieur
développé (sièges sociaux, directions commerciales, écoles polytechniques de
Turin et de Milan) et un Midi où l’emporte le secteur administratif et public,
comme à Rome. Bien des villes du Sud – sans parler de la capitale – vivent
essentiellement de leurs fonctionnaires, de L’Aquila à Catanzaro, de Potenza à
Cagliari.
Le commerce , qui emploie 22 p. 100 des actifs avec les
restaurants, hôtels, garages, reste une activité fondamentale. Les grandes
surfaces sont moins développées qu’en France; en contrepartie, le petit commerce
fait preuve d’une vitalité remarquable; du Val d’Aoste à la Sardaigne, le
moindre bourg conserve ses épiciers, ses droguistes comme d’ailleurs ses
pharmaciens ou ses dentistes. Contrairement à une idée répandue, il nous semble
que l’Italie, en ce domaine, a mieux résisté à l’américanisation que la France,
ce qui s’explique sans doute par l’attachement des Italiens aux rapports sociaux
personnalisés. De même, les banques, très nombreuses (un millier, ce qui est
sans doute trop), sont proches de la clientèle.
Le tourisme reste une activité spécifique. Après avoir été,
vers 1950, le premier pays touristique d’Europe et donc du monde, l’Italie s’est
laissé dépasser par l’Espagne puis la France, actuellement première, sans doute
à cause de ses prix trop élevés. Elle n’en accueille pas moins près de 20
millions d’étrangers (dont un tiers d’Allemands, ceux-ci précédant les Français,
les Britanniques, les Autrichiens et les Suisses), dont 16 millions dans les
hôtels, pour 100 millions de nuitées; à quoi s’ajoutent les Italiens eux-mêmes.
Le tourisme vers les villes d’art (Rome, Florence, Venise) est moins important,
en termes de séjours, que le tourisme balnéaire (riviera adriatique) et même que
le tourisme montagnard qui est à 90 p. 100 alpin. La première région
touristique, très envahie par les Allemands et les Autrichiens, est le
Trentin-Haut-Adige, précédant de peu les littoraux de Vénétie et de Romagne, aux
plages sablonneuses familiales. Le Sud, une fois de plus, est à la traîne,
malgré les beautés du golfe de Naples ou de la Sicile, sans nul doute à cause de
son éloignement, peut-être aussi d’un certain sous-équipement hôtelier, avec 22
p. 100 du total des nuitées en Italie et seulement 13 p. 100 du total de celles
des étrangers.
Les problèmes économiques
La balance touristique, même si son
excédent s’amenuise, d’autant que les Italiens partent eux aussi en vacances à
l’étranger, vient, comme les travaux d’ingénierie dans des pays étrangers
(Moyen-Orient, Afrique noire...), conforter une balance commerciale généralement
déficitaire. L’Italie, au sixième rang des puissances commerciales mondiales,
avec 58 p. 100 de ses échanges avec l’Union européenne (dont 20 p. 100 avec
l’Allemagne, 15 p. 100 avec la France), enregistre en effet un bilan fortement
négatif pour les produits agricoles, les minerais et plus encore les matières
énergétiques, à commencer par le pétrole; le solde, encore négatif pour les
produits chimiques et même les automobiles, est au contraire fortement positif
pour les machines diverses, le textile et la confection, les matières
plastiques, etc.
À ces faiblesses du commerce extérieur, même si le déficit
ordinaire n’est pas très considérable, s’ajoute le déficit budgétaire chronique,
et donc la faiblesse persistante de la lire. Malgré le dynamisme de l’économie
italienne, souvent tous les indicateurs sont «au rouge», et la trop forte
inflation reste un handicap. Il existe d’autres faiblesses globales: si, grâce à
leur souplesse, les P.M.I. productrices de biens de consommation ont jusqu’ici
assez bien résisté vis-à-vis des Nouveaux Pays industriels, qu’en sera-t-il dans
l’avenir? Le travail au noir sera-t-il longtemps toléré? L’Italie ne s’est-elle
pas trop peu impliquée dans les technologies modernes (quasi-absence de
participation à la construction de l’Airbus)?
Mais le principal problème demeure celui des disparités
régionales , surtout entre le Nord et le Sud, et il est curieux que certains
auteurs aient cru pouvoir parler de la «fin d’un dualisme». Sur moins de 40 p.
100 de la superficie totale, l’Italie du Nord regroupe près de 45 p. 100 de la
population et assure 56 p. 100 du produit national. Le Mezzogiorno, continental
et insulaire, ne fournit que moins du quart du P.N.B. alors qu’il abrite de 36 à
37 p. 100 de la population.
Ce qui revient à dire que le revenu par habitant décroît
fortement du Nord vers le Sud, l’Italie centrale étant en position
intermédiaire. Entre la province la plus riche (Bologne, qui précède Parme) et
la province la plus pauvre (Enna, en Sicile), l’écart est de 2,4 à 1. En gros,
l’écart des revenus entre le Nord et le Sud reste de 2 à 1, comme vers 1950,
mais il se serait sans aucun doute accru sans les interventions de l’État. Le
revenu moyen n’augmente pas toujours avec la taille des villes, les grandes
villes du Sud étant en très mauvaise position. Enfin, le taux de chômage, pour
une moyenne nationale de 12 à 13 p. 100, varie de 7 ou 8 p. 100 dans le Nord à
plus de 20 p. 100 à Naples, en Calabre ou en Basilicate.
5. Le découpage régional
Le découpage régional pose problème, dans la mesure où certains amalgament dans une «troisième Italie» la plaine du Pô orientale et l’Italie centrale: découpage plus économique que géographique, auquel on préférera la division traditionnelle Nord-Centre-Sud.
Le Nord
Entre montagnes (Alpes, Apennin du Nord) et plaine du Pô, le Nord concentre l’essentiel de l’économie agricole, plus encore industrielle et tertiaire, ainsi que des pouvoirs de commandement: 56 p. 100 du P.N.B. (dont 21 p. 100 pour la seule Lombardie), plus des deux tiers du capital des grandes sociétés, plus des trois quarts du commerce extérieur. Malgré le développement récent (depuis 1950) de l’est de la plaine du Pô, fondé sur l’agriculture, le tourisme balnéaire, l’essor de très nombreuses P.M.I. (en Émilie-Romagne, en Vénétie, au Frioul), le «triangle» conserve la primauté pour l’industrie lourde et les très grands établissements, pour les industries de pointe (Turin, Ivrée, Milan) comme pour les pouvoirs de commandement: 58 p. 100 du capital des grandes sociétés. Toutefois, pour le revenu moyen par tête, Piémont, Ligurie, Lombardie ont été dépassés à la fin des années 1980 par l’Émilie-Romagne et le Frioul-Vénétie Julienne.
L’Italie centrale
L’Italie centrale est assez hétérogène. La Toscane, l’Ombrie, les Marches sont des pays de collines, d’ancien métayage, aux villes d’art nombreuses, où les P.M.I. sont largement développées, surtout en Toscane du Nord (plaines de l’Arno) et, plus récemment, dans les Marches adriatiques. Cette Italie-là fait partie du Nord, aux yeux de la Ligue lombarde. Le Latium est bien différent, entièrement polarisé sur la capitale, ville dominée par le secteur tertiaire, ville de fonctionnaires, des partis politiques et du clientélisme, dont les ligues du Nord dénoncent le parasitisme. Au demeurant, tandis que Florence est en onzième position, le revenu moyen ne situe Rome qu’au cinquante-troisième rang des quatre-vingt-quinze chefs-lieux de province; on est loin de la prépondérance parisienne en France! L’ensemble des régions du Centre, dont la statistique officielle exclut, peut-être à tort, les Abruzzes, regroupe, sur 19,4 p. 100 du territoire, 19,1 p. 100 de la population, contribue au P.N.B. pour un peu plus de 20 p. 100 et à la localisation des sièges sociaux des grandes sociétés pour 25 p. 100 du capital, essentiellement grâce aux holdings d’État romains.
Le Mezzogiorno
On l’a vu, le Mezzogiorno ne contribue que
pour moins de 24 p. 100 au P.N.B., et seulement pour 7,5 p. 100 au capital des
grandes sociétés domiciliées (pour le Midi continental, 24,6 p. 100 de la
population, 16 p. 100 du P.N.B.; pour les îles, 12,3 p. 100 de la population,
moins de 8 p. 100 du P.N.B.). Toutes les provinces méridionales ont un revenu
moyen par habitant inférieur à la moyenne nationale, de Teramo dans les
Abruzzes, la mieux classée, à Enna en Sicile, qui est la plus pauvre.
Ce Midi n’en est pas moins divers, où s’opposent l’osso et la
pulpa (l’os et la chair): l’Apennin et ses bordures plus fertiles et plus
peuplées, l’intérieur et le littoral, ce qui est vrai aussi en Sardaigne et en
Sicile, cette dernière trois fois plus peuplée et beaucoup plus urbanisée que
l’île sœur, encore un peu sauvage. De la sidérurgie de Tarente aux nombreux
complexes pétroléochimiques, les grandes industries se sont établies sur les
rivages, ce qui est le cas aussi des P.M.I. d’origine locale (mais pas forcément
sous-traitantes des grosses affaires), en particulier dans la Pouille, mais
aussi à Catane et même à Naples. Si la Calabre et la Basilicate demeurent les
régions les plus pauvres, les zones trop densément peuplées de Naples et de
Palerme, ces villes malades, ne sont guère en meilleure posture, se situant
respectivement au quatre-vingt-treizième et au quatre-vingt-quatorzième rang des
chefs-lieux italiens, ce qui explique bien des choses en ce qui concerne la
Mafia ou la Camorra, et la poussée des néo-fascistes dans le Sud (élections
municipales de novembre 1993), quelque peu symétrique de celle des ligues
autonomistes, voire sécessionnistes, du Nord.
Pour conclure, le géographe ne peut que formuler un jugement
nuancé. Ce pays de haute civilisation et de grande tradition culturelle se
développe suivant un mode souvent atypique, réussit à accéder au rang de moyenne
ou grande puissance tout en accumulant les problèmes. Contrairement à ce que
l’on pouvait penser il y a quelques années, le risque d’éclatement n’est pas
nul, qui serait aussi dommageable pour le Nord que pour le Sud. Heureusement,
l’Italie nous a habitués à tant de souplesse et de rebondissements, que nous
excluons une partition à la yougoslave, qui serait catastrophique pour l’Europe
et pour le monde.