ESPAGNE : Géographie

 

L’Espagne est, depuis 1986, un des douze États membres de la Communauté européenne, le seul avec la France à avoir une façade méditerranéenne et une façade atlantique. Elle a participé à l’histoire des pays riverains de la Méditerranée mais aussi à l’expansion européenne dans le monde des pays atlantiques et n’est séparée de l’Afrique que par un bras de mer étroit. Bien que relativement peu peuplée pour un État européen (77 hab./km2 en 1991) et moins développée que les pays du centre de l’Europe, l’Espagne est devenue, en une trentaine d’années, une grande puissance industrielle et agricole se classant parmi les dix États les plus riches du monde.

1. Le territoire

L’Espagne est, avec l’Ukraine et la France, un des plus étendus parmi les États européens (504 750 km2), mais c’est un pays montagneux et de configuration massive où les influences continentales accentuent la sécheresse propre au climat méditerranéen.

Pourtant, si on a pu écrire que l’Espagne était « invertébrée » (Ortega y Gasset, 1921), c’est moins en relation avec le milieu physique qu’en raison de la diversité des cultures qui s’en partagent le territoire et des langues qui en sont les vecteurs (espagnol, basque, catalan, galicien). Le régime dit des autonomies territoriales, institué par la Constitution de 1978, est une solution originale qui vise à préserver l’unité nationale tout en garantissant le respect des particularismes régionaux.

Les traits majeurs du milieu physique

Comparée à la forme effilée de l’Italie ou à l’importance de l’insularité hellénique, la péninsule Ibérique fait figure de continent en réduction. Elle est encore la moins européenne de ces trois péninsules par le relief, où les hautes plaines évoquent les cuvettes africaines et où la sécheresse sévère rappelle la proximité géographique du Sahara.

Le caractère massif

Strabon comparait la forme de la péninsule Ibérique à celle d’une peau de taureau. C’est à la présence d’un socle ancien très résistant que la péninsule doit cette forme ramassée. Composé de roches cristallines et de schistes, par ailleurs richement minéralisé, il a formé un môle rigide contre lequel les plissements alpins vinrent déferler. C’est l’élément fondamental de la structure de la péninsule Ibérique. On en retrouve encore l’influence plus à l’est, où la couverture sédimentaire a été affectée par de lourds plis coffrés, et, d’une façon générale, dans la configuration de la péninsule Ibérique au littoral peu découpé.

L’altitude

De quelque côté que l’on aborde l’Espagne, il faut monter quand on se dirige vers l’intérieur.

L’effet des plissements alpins sur le socle rigide s’est traduit par une surrection d’ensemble importante et par de multiples fractures. Aussi 56,7 p. 100 de la superficie sont-ils au-dessus de 600 mètres, et Madrid est la capitale la plus élevée d’Europe. Les sierras centrales forment un jeu de horsts orienté du sud-ouest au nord-est et atteignent 2661 mètres (Almanzor). De part et d’autre dominent les formes de plateau (metesta). Au nord, les surfaces d’érosion étagées avoisinent 1000 mètres et entourent une sorte de cuvette semi-fermée ; au sud, les plateaux forment un plan incliné vers l’ouest, où ils passent de plus de 700 à moins de 300 mètres. Au nord et au sud de la Meseta, les chaînes de plissement alpin portent des sommets encore plus élevés : ainsi le pic d’Aneto dans les Pyrénées et le Mulhacén dans la cordillère Bétique dépassent l’un et l’autre 3400 mètres.

La planéité

Le plateau central a été soumis à de longues périodes d’aplanissement dont les dernières retouches furent toute récentes. L’érosion différentielle l’a mis à nu à l’ouest et y a dégagé de minces crêtes de quartzites au-dessus des plateaux, tandis que les sédiments lacustres et continentaux qui le masquent à l’est ont été parfois à peine entamés (haute plaine de la Manche), parfois profondément disséqués (paramos de Vieille-Castille et de La Alcarria). Il n’est pas jusqu’aux sommets qui ne portent la trace d’un aplanissement, notamment dans les chaînes Bétiques, où la fréquence des roches peu résistantes a facilité leur dégagement et où le relief est encore aéré par des dépressions en chapelet comme celle de Grenade. Entre la bordure de la Meseta et les chaînes alpines s’élargissent les dépressions du Guadalquivir et de l’Èbre. La première est une fosse d’avant-pays dont les sédiments marins fins ont été modelés en collines, mais où de vastes terrasses fluviales et les terres amphibies des Marismas donnent encore des formes achevées de planéité ; la seconde est un bassin de subsidence remblayé par des sédiments détritiques continentaux dans lequel les plateaux et les formes structurales sont les traits majeurs du relief.

La sécheresse

À l’exception d’une bande étroite septentrionale représentant moins de 10 p. 100 du territoire national et constituant l’Espagne humide, verdoyante en toutes saisons, l’Espagne est située dans le domaine climatique méditerranéen dont la caractéristique est la coïncidence estivale de la chaleur et de l’aridité. L’une et l’autre augmentent en fonction de la latitude qui est, dans le Midi, celle d’Alger ou de la Sicile. Elles augmentent également à mesure que l’on s’éloigne de l’Atlantique et de ses influences ; la forme massive de l’Espagne joue donc dans le sens d’un accroissement de la sécheresse. Entre Almería et Alicante, le climat confine à l’aridité en fonction de phénomènes complexes d’abri aérologique. Il en résulte presque partout une végétation clairsemée et des risques accrus d’érosion accélérée. En Vieille-Castille et en León, la dégradation du climat méditerranéen sous l’effet de l’altitude, qui aboutit à des hivers très rigoureux, ajoute une cause supplémentaire de réduction de la période végétative.

Contraintes et sujétions du milieu physique

Le problème des distances à franchir a toujours été difficile à résoudre dans un pays accidenté et cloisonné. Les voyageurs romantiques, Hugo, Gautier, Dumas, en firent la pittoresque expérience. Les chemins de fer n’ont pas permis d’apporter une solution et, durant longtemps, l’aménagement de voies navigables fut une chimère tenace. La question a été résolue tardivement par la route (80 p. 100 du fret) et par les transports aériens (pont aérien Madrid-Barcelone). Le train à grande vitesse qui relie Madrid à Séville depuis 1992 devrait constituer une réponse satisfaisante pour le transport des voyageurs, tandis que le cabotage maritime garde une certaine importance pour les marchandises.

Le problème de l’eau est plus grave. Les grands barrages permettent de se prémunir contre l’irrégularité interannuelle, les transvasements d’un bassin à l’autre rendent possible une meilleure répartition géographique des ressources, et les Espagnols sont passés maîtres dans les techniques hydrauliques, mais les besoins s’accroissent inexorablement ainsi que les risques de pollution. En 1986, l’Espagne était le plus gros consommateur d’eau de l’Europe des Douze par tête, avec 3,25 mètres cubes par jour en raison de l’énorme consommation des cultures irriguées qui dépassaient alors les 3 millions d’hectares. Cela représentait près de 46 000 hectomètres cubes, dont 9 p. 100 d’eaux souterraines. Les ressources potentielles sont évaluées à 66 000 hectomètres cubes, ce qui laisse une marge étroite. Par ailleurs, toute la frange méditerranéenne est déficitaire : l’Andalousie, la Murcie et la Communauté valencienne, où la demande est très forte, ne disposent que de 16 p. 100 des ressources nationales.

Un plan hydrologique national sur vingt ans prévoit le transfert de 3 800 hectomètres cubes vers les régions déficitaires, dont le bassin de l’Èbre fournira l’essentiel. Cette solution techniquement rationnelle soulève des problèmes politiques régionaux graves. Les solutions à apporter aux contraintes du milieu physique dépendent en effet, au point de vue technique, des moyens financiers et de la volonté politique de surmonter ces contraintes. Celles-ci évoluent donc au cours du temps et peuvent même s’inverser : ainsi, avec le développement de l’irrigation ou celui du tourisme balnéaire, la chaleur et la sécheresse sont devenues des atouts. Inversement, le choix d’un écartement des voies ferrées selon une norme non européenne a fait davantage pour l’isolement économique de l’Espagne que sa position excentrique ou son relief accidenté. On peut s’interroger sur le rôle du milieu physique dans la répartition géographique de la population et des activités, d’une part, de la richesse, d’autre part. En ce qui concerne la population, on a constaté depuis longtemps qu’elle est plus dense sur les façades maritimes que dans les régions intérieures et que, à l’exception de Madrid, de Saragosse et de Valladolid, les grandes villes se trouvent à moins de 100 kilomètres des côtes. En dépit de la fixation de la capitale au centre de la péninsule par Philippe II au XVIe siècle puis de l’établissement d’un réseau ferré rayonnant autour de Madrid dans la seconde moitié du XIXe siècle, la faible rentabilité des voies traversant des régions pauvres et peu peuplées explique l’état d’abandon dans lequel elles sont restées jusqu’en 1960. On y peut voir l’effet indirect de la forme massive et du caractère montagneux de la péninsule. Mais on observera pourtant que la Vieille-Castille et le León furent jusqu’au XVIe siècle parmi les régions les plus actives et les plus peuplées, et que le contraste avec les façades maritimes n’est donc pas une constante historique. Il en est de même quant à la répartition du revenu par tête qui, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, s’ordonne par rapport au cœur de l’Europe, plaçant au premier rang la Catalogne et le Pays basque, tandis que les régions les moins développées se situent à l’ouest et au sud, le long de la frontière portugaise. Il convient toutefois de remarquer que cette distribution de la richesse affecte aussi bien l’Espagne humide, dans laquelle le Pays basque et la Galice se trouvent aux deux bouts de l’échelle des revenus, que l’Espagne sèche, dans laquelle le bassin de l’Èbre et la Vieille-Castille amorcent un nouvel essor tandis que l’Estrémadure s’enfonce dans la pauvreté.

Le partage politique du territoire : les régions autonomes

On parlait autrefois « des Espagnes » pour exprimer la variété des cultures que l’on y rencontrait sans nier pour autant l’unité de l’ensemble. Cette expression demeure valable de nos jours car, si l’unité espagnole fut réalisée sous l’égide castillane, le déclin économique et démographique de l’intérieur lui a retiré de sa légitimité et a donné un regain de vigueur aux régionalismes longtemps brimés. Le pouvoir central a cru habile de donner une même réponse aux besoins de décentralisation d’un grand État moderne et aux vieilles aspirations régionalistes, sous forme de statuts d’autonomie régionale qui concernent tout le territoire national. Mis en route en 1979 après avoir été prévu par la Constitution, le processus se poursuit. En dépit de son ambiguïté initiale, c’est la première fois, depuis la Reconquête, que le partage du pouvoir se joue sur une base territoriale.

Le besoin de décentralisation administrative est devenu impérieux afin de limiter un développement bureaucratique excessif à Madrid et des frustrations de plus en plus fréquentes en province. Par ailleurs, à l’heure de la planification, même indicative, les dimensions des provinces se sont révélées trop réduites. Il importait donc d’agrandir la cellule administrative de premier niveau et d’assurer un transfert de pouvoirs à l’échelon régional. Curieusement, le choix des limites n’a guère posé de problèmes ; il s’est fixé sur celles des régions historiques que le découpage des provinces en 1833 n’avait pas fait disparaître et qui étaient demeurées une réalité vécue. Il a suffi de regrouper des provinces pour reconstituer ces vieilles entités sans en modifier les limites. Les rares aménagements apportés concernent des provinces entières soustraites ou ajoutées à une région historique ; c’est ainsi que la province cantabrique de Santander fut retirée à la Vieille-Castille et celle d’Albacete ajoutée à la Nouvelle-Castille en tenant compte, dans les deux cas, de critères géographiques. La province de Madrid, compte tenu de ses problèmes spécifiques, fut érigée en région urbaine. Le critère de région historique avait pour lui l’avantage de rallier le plus grand nombre ; le seul litige grave concerne la province de Navarre, revendiquée par le Pays basque. L’inconvénient majeur fut d’aboutir à des différences considérables de population et d’étendue d’une région à l’autre ; la Rioja, par exemple, est vingt-six fois moins peuplée que l’Andalousie.

Le besoin d’autonomie politique est une très ancienne revendication qui, pour certaines provinces, peut aller jusqu’à l’exigence de l’indépendance. Pour le Pays basque, la Galice et la Catalogne, qui ont une culture propre et une langue nationale, le centralisme castillan, qui fut renforcé sous le régime franquiste, est devenu intolérable. Le nouveau régime démocratique se devait d’en tenir compte. Mais peut-on mettre sur le même plan la Rioja ou la Cantabrie avec le Pays basque ou la Catalogne sans restreindre la portée politique de l’autonomie ? Cette dernière comporte la mise en place de gouvernements locaux, régulièrement constitués après l’élection de députés au parlement régional. Le processus a commencé, en 1979, en Catalogne. Rappelons que la Catalogne est le meilleur exemple d’une région qui, avec les dimensions et la population de la Suisse, sa puissance industrielle et ses traditions culturelles, pourrait constituer un véritable petit État européen. C’est au Moyen Âge que la spécificité de la culture catalane est apparue : marche franque face à l’Islam au IXe siècle, elle bénéficia rapidement d’une indépendance de fait en faveur des comtes de Barcelone. Elle fut une des premières régions d’Europe, au Xe siècle, à connaître un essor économique suivi d’une floraison culturelle qui fit de ce pays le berceau de l’art roman. La langue catalane commença à s’individualiser vers le XIIe siècle et, en devenant à la fois langue de culture et d’administration, elle fut le vecteur de l’aspiration séculaire des Catalans à l’indépendance. Ce sentiment fut à peu près satisfait jusqu’au XVIe siècle, où l’autoritarisme centralisateur castillan se fit plus lourd pour ne se relâcher qu’une fois, sous la seconde République, avec l’instauration de la Généralité. L’actuel parlement catalan n’est donc pas une création artificielle mais bien une tradition et un symbole de la volonté d’un peuple d’être maître de son destin. On comprend que le transfert de pouvoirs et de compétences de l’autorité centrale à l’autorité régionale ne puisse se limiter, dans ces conditions, à quelques secteurs secondaires. Il exprime un rapport de forces à propos de véritables problèmes de souveraineté. En 1988, la part des dépenses publiques, hors secteur financier, s’établissait ainsi : 70 p. 100 pour l’État, 18 p. 100 pour les gouvernements régionaux et 12 p. 100 pour les pouvoirs locaux (provinces et municipalités). Les transferts de compétences sont inégaux mais portent d’abord sur les travaux publics, la santé et l’éducation ; le processus amorcé tend à se développer mais s’avère de plus en plus coûteux. C’est peut-être le prix à payer pour une gestion mieux adaptée et plus démocratique dont le succès conditionne l’avenir de l’Espagne.

2. L’industrialisation

Si certaines régions espagnoles comme la Catalogne, le Pays basque ou les Asturies participèrent au mouvement d’industrialisation que connut l’Europe occidentale depuis la fin du XVIIIe siècle, cet essor fut limité et rapidement étouffé de telle sorte que l’Espagne apparaissait encore, dans les années cinquante, comme un pays faiblement industrialisé et à bas niveau de vie. C’est alors que commença un mouvement de rénovation économique qui, en moins de quinze ans, allait faire de l’Espagne une puissance industrielle de premier plan. La crise économique provoqua un arrêt tardif mais brutal du développement au moment précis où se déroulait la transition politique vers la démocratie. D’où le retard pris dans les mesures de restructuration, ajournées jusqu’en 1982, et l’importance du chômage et de l’inflation. L’entrée dans le Marché commun fut le point de départ d’une reprise vigoureuse durant les cinq premières années et le signal d’un afflux massif de capitaux étrangers.

L’évolution

L’implantation des industries

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les surplus accumulés par la bourgeoisie catalane dans le commerce maritime et l’agriculture permettent le développement de l’industrie des indiennes de coton. L’industrie textile catalane moderne était née et allait se développer rapidement au siècle suivant.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrie lourde se fixe au Pays basque, à proximité des mines de fer et du port de Bilbao, ainsi qu’aux Asturies, sur les gisements de charbon. Au Pays basque, au facteur favorable constitué par l’existence d’un point de rupture de charge s’ajoutaient des traditions de travail du fer et l’existence d’un patriciat local rompu aux pratiques commerciales par l’habitude du commerce maritime.

À la fin du XIXe siècle, la géographie industrielle de l’Espagne était, dans ses grandes lignes, la même que maintenant, avec les trois foyers industriels de Catalogne (Catalunya), du Pays basque et des Asturies. Ces foyers ne concernent guère que le cinquième de la population espagnole.

La stagnation

Les industries naissantes furent protégées par des barrières douanières, ce qui leur assura un bon départ. Très rapidement, toutefois, le tarif hautement protectionniste assura le marché intérieur aux meilleures conditions de profits pour les industriels, qui constituèrent des cartels et cessèrent leurs investissements productifs. De graves conséquences en résultèrent : au-dedans, structure monopoliste des industries espagnoles contrôlées par quelques groupes bancaires et, au-dehors, manque de puissance et de compétitivité des industries nationales, acculées à se défendre sans cesse davantage contre la concurrence étrangère en ruinant le commerce extérieur.

En 1891, la politique protectionniste fut définitivement adoptée à la suite de l’alliance des industriels et des grands producteurs de blé. Cette attitude fut renforcée sous le régime franquiste, qui organisa une économie autarcique.

Vis-à-vis du grand capitalisme international, les capitalistes nationaux n’eurent pas une attitude constante. Au XIXe siècle, ils autorisèrent les spéculations étrangères sur les chemins de fer et les mines, ce qui ne laissait guère de profits à l’Espagne.

Le gouvernement nationaliste tenta d’abord d’y mettre un terme en créant un organisme d’État : l’Instituto nacional de indústria (I.N.I.), chargé de se substituer au capital privé défaillant dans les secteurs clefs de l’économie. Cette politique donna quelques résultats heureux, parmi lesquels l’édification du complexe sidérurgique d’Avilés, sur le littoral asturien, mais se révéla dispendieuse par suite de la prolifération d’industries incapables d’affronter la concurrence internationale. D’énormes crédits, rassemblés grâce à une inflation permanente, furent ainsi engloutis en pure perte, et le revenu national par tête en 1950 ne semblait guère plus élevé qu’en 1913.

Le renouveau industriel

Gaspillage des ressources et distorsions entre les différents niveaux de la production condamnaient le régime autarcique, mais il fallut attendre 1959 pour que l’Espagne tente d’y porter remède. Dix ans après la mise en route d’une nouvelle politique économique, l’Espagne demeurait aux prises avec des distorsions de structures et des habitudes mentales fortement enracinées, héritées de la longue période antérieure. Cependant, le régime précédent avait renforcé la bourgeoisie d’affaires, et c’est elle qui prit conscience de la contradiction entre ses intérêts et la poursuite d’une politique autarcique. Bien que prudente et incomplète, l’ouverture de l’Espagne au commerce international, à défaut d’introduire la concurrence internationale, permit l’importation de biens d’équipement et de brevets nécessaires à la modernisation des industries. Les exportations espagnoles du secteur agricole ne suffirent pas à compenser, en valeur, ces coûteuses importations, et les véritables moteurs du développement furent le tourisme, les revenus des travailleurs émigrés et les capitaux étrangers. Étant en partie extérieurs à l’Espagne, ils rendent son économie sensible aux plus légers aléas de la conjoncture.

On notera l’accroissement considérable du déficit de la balance commerciale, que les revenus fournis par le tourisme et les remises des émigrés ne parviennent plus à compenser.

La rénovation industrielle s’accompagna de la mise en route, en 1964, d’un plan quadriennal de développement élaboré sur le modèle français et par la création de pôles de développement industriels dans les villes des régions les moins développées. Mais, à partir de 1975, les années de croissance firent place à une crise : dès 1982, plus de la moitié des 2 millions de chômeurs avaient moins de vingt-quatre ans.

Population

S’agissant de la population espagnole, le fait majeur de ces dernières années est l’achèvement de la transition démographique. Le taux de natalité s’y est même brutalement effondré à moins de 10 p. 1 000, à l’exemple de l’Italie. Entre 1967 et 1986, le nombre d’enfants par femme est passé de 2,86 à 1,38 (de 2,41 à 1,34 en Italie), soit un taux parmi les plus bas du monde et qui ne laisse pas d’être préoccupant. Pour autant, la population des moins de vingt ans demeure importante, ce qui, avec l’arrêt de l’émigration, aggrave le problème de l’emploi. La répartition sectorielle de la population indique l’ampleur des transformations qui touchèrent la société espagnole depuis 1960. Au cours de la phase de croissance allant de 1960 à 1973, l’exode rural fut considérable, provoquant une augmentation de près de 5 millions de personnes des villes de plus de 100 000 habitants et un flux d’émigration hors des frontières de plus de 100 000 personnes par an en moyenne. À partir de 1983, les retours des émigrants l’emportèrent sur les départs, l’exode rural s’atténua, et le secteur secondaire fut durement affecté par les restructurations. Seuls les services poursuivirent leur croissance. En 1991, la population était stabilisée autour de 38 millions et demi d’habitants, ce qui plaçait l’Espagne dans une position moyenne parmi les Douze, avec un taux de chômage qui restait le plus élevé de la Communauté et des campagnes méridionales qui recelaient encore des excédents de main-d’œuvre.

Mines et énergie

Les richesses minières de l’Espagne, abondantes et variées, auraient pu faciliter l’industrialisation du pays au XIXe siècle. Il n’en a rien été, à l’exception de la région de Bilbao et, dans une moindre mesure, de la Cantabrie et des Asturies. En revanche, les mines espagnoles furent à l’origine de la fortune de compagnies étrangères telles que l’Asturienne des mines, la Compagnie du Río Tinto, Peñarroya, etc. L’Espagne demeure le pays méditerranéen le mieux pourvu en charbon et en minerai de fer. En 1990, la production de houille, qui avait doublé en vingt ans, atteignait presque 20 millions de tonnes (troisième rang parmi les Douze) et celle de lignite plus de 16 millions de tonnes. L’essentiel de la houille provient des Asturies et le lignite de Catalogne. Il est vrai que les mines asturiennes sont déficitaires et maintenues artificiellement en activité par l’entreprise semi-publique H.U.N.O.S.A. pour des raisons sociales. La production d’hydrocarbures et de gaz naturel est infime, et les importations de ces produits obèrent lourdement la balance commerciale. En revanche, l’Espagne a réalisé un gros effort dans les domaines de l’énergie hydraulique et de l’énergie nucléaire, où elle se place respectivement au troisième et au quatrième rang parmi les Douze.

Les secteurs d’activité

La croissance de l’activité, amorcée à partir du plan de stabilisation de 1959, a porté d’abord sur les industries lourdes telles que la sidérurgie ou les constructions navales qui, à partir de 1974, devaient être parmi les plus touchées par la crise. En revanche, l’élévation du niveau de vie a favorisé les industries de biens de consommation.

Les industries de base

La sidérurgie, qui avait été longtemps un point faible, a fait l’objet d’une modernisation de ses installations comme de ses méthodes de gestion. Aussi, entre 1968 et 1981, la production d’acier brut passa de 5 millions à 13 millions de tonnes, mais stagne depuis cette date et pose, là encore, d’énormes et coûteux problèmes de restructuration. En 1991, l’Espagne n’était plus qu’au cinquième rang de la Communauté. Cette industrie est géographiquement très concentrée : dans les Asturies (sur les gisements de houille et en bordure de la ría d’Avilés), au Pays basque (à proximité de Bilbao) et à Santander. Un organisme commun, l’Union des entreprises et entités sidérurgiques (Unesid), est chargé de la rénovation des équipements.

La chimie de base constitue un secteur en plein essor vers lequel se sont dirigés les capitaux américains et qui fait appel largement aux importations de matières premières et aux brevets étrangers. La plupart des usines se trouvent dans les ports et dans la banlieue madrilène ; ils disposent généralement d’un équipement moderne. La production d’acide sulfurique, par exemple, s’est hissée dès 1975 à 3 millions de tonnes. Même si elle a peu progressé depuis lors, elle vient au deuxième rang parmi les Douze et suit de très près celle de la France. L’Espagne se classe au premier rang des Douze pour les engrais phosphatés. Enfin, les cimenteries bénéficièrent de l’accroissement considérable de la demande nationale d’un produit pondéreux, mais la production stagne depuis 1978 ; elle place toutefois l’Espagne au troisième rang de la Communauté avant la France.

Les industries de biens d’équipement

Les industries de biens d’équipement furent les premières bénéficiaires de l’élévation du niveau de vie et de l’accroissement de la demande nationale. À l’abri de solides protections douanières, elles réalisèrent d’importants bénéfices sans pour autant se préparer à la concurrence que l’adhésion à la Communauté européenne impliquait en ce domaine. On le vit lors du démarrage du plan de modernisation du réseau ferré, pour lequel les crédits en provenance de la Banque mondiale entraînaient l’obligation d’un appel d’offres mondial. La majeure partie du matériel fut acquis à l’étranger, en Allemagne et en France notamment. Seuls les chantiers navals, protégés par l’État, purent échapper un moment à la crise, et l’Espagne leur confia la rénovation de sa flotte marchande et d’une partie de sa flotte de pêche. En 1991 encore, l’Espagne venait ainsi au deuxième rang des Douze pour le tonnage des navires en construction. Cela ne représentait néanmoins qu’un peu plus du tiers du chiffre de 1975 et n’empêchait pas les effets sociaux de la crise de se faire sentir. En dépit de quelques résultats prometteurs, les industries de biens d’équipement ont donc du mal à imposer leurs produits sur les marchés étrangers, et les séquelles de l’ancienne politique d’autarcie y sont encore sensibles.

Les industries de biens de consommation

On connaît l’importance et l’ancienneté des industries textiles espagnoles et leur concentration en Catalogne : autour de Barcelone pour l’industrie cotonnière, de Tarrasa et de Sabadell pour l’industrie lainière. Les seules industries notables en dehors de la Catalogne se situent dans quelques centres traditionnels de Castille (Béjar) ou de la Communauté valencienne, à Séville, au centre d’une aire importante de production cotonnière, ou à Torrelavega, près de Santander. Ces industries sont également durement touchées par la concurrence des pays d’Extrême-Orient. Pour les filés et tissus de coton, l’Espagne ne vient qu’au quatrième rang en Europe.

Les autres industries de biens de consommation se sont développées avec rapidité dans le courant des années soixante. Ce fut le cas des véhicules automobiles, dont l’Espagne est désormais le sixième producteur mondial (1 679 000 voitures de tourisme en 1990 et 374 000 véhicules utilitaires). Outre Renault (Valladolid et Valence), Peugeot-Citroën (Vigo) et S.E.A.T.-Volkswagen (Barcelone), les grandes firmes américaines ont choisi l’Espagne comme point d’implantation en Europe : Ford au sud de Valence, G.M.C. à l’ouest de Saragosse (après que la France lui eut refusé une implantation dans le Sud). Aussi ce domaine constitue-t-il, et de loin, le poste le plus important des exportations.

Construction et travaux publics

En 1990, le secteur du bâtiment employait plus de 10 p. 100 de la population active. Il a bénéficié de la croissance urbaine de ces dernières années ainsi que des importants programmes de travaux publics lancés par l’État et par les régions. Les aménagements urbains considérables réalisés à l’occasion des jeux Olympiques de Barcelone et de l’Exposition universelle de Séville de 1992 stimulèrent également le secteur. Cependant, les perspectives se trouvent assombries à la fois par les restrictions budgétaires, par le désengagement de l’État dans la construction de logements et par les séquelles d’une réglementation d’un autre âge concernant le marché immobilier.

La pêche

Les produits de la mer ont toujours joué un grand rôle dans l’alimentation des Espagnols. Avec une consommation de 38 kilogrammes par an et par tête, ils se situent actuellement au deuxième rang dans l’Europe des Douze, derrière les Portugais. Un gros effort a été réalisé pour moderniser la flotte industrielle, tandis que la flotte artisanale entrait dans un irrémédiable déclin. L’essentiel des produits de la pêche provient désormais de zones éloignées et est débarqué dans des ports de l’Atlantique. Bien qu’elle soit devenue le premier pays de l’Europe communautaire en ce domaine et que Vigo, en Galice, soit le plus important port de pêche d’Europe, l’Espagne ne parvient pas à couvrir ses propres besoins, et sa balance commerciale des produits de la mer est déficitaire. L’extension à 200 milles de la limite des eaux territoriales des pays européens et du Maroc depuis 1977, la sévérité des quotas répartis par la Communauté européenne ont provoqué une diminution de la valeur des prises et une crise illustrée par de violents conflits avec les marins d’autres pays.

En résumé, l’Espagne est devenue, entre 1960 et 1974, une des grandes puissances industrielles du monde, avec toutes les conséquences géographiques et culturelles que cette brutale mutation a entraînées.

La crise économique qui succéda à cette période d’euphorie a frappé tous les États, mais a pris une particulière gravité en Espagne, à la fois parce que l’économie espagnole était encore fragile et gardait des séquelles de la période autarcique et parce que la crise politique ouverte par la fin de la dictature relégua les problèmes économiques au second plan durant quelques années. L’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne stimula à nouveau l’économie jusqu’en 1991, attirant notamment d’importants capitaux étrangers. Mais les brillants résultats exigent encore des efforts pour lutter contre l’inflation et le chômage, tendance malheureusement inévitable en Espagne.

3. Vie rurale et paysages agraires

L’Espagne était encore un pays agricole en 1958 ; elle avait alors trente ans de retard technologique sur son voisin du nord. Un quart de siècle plus tard, elle est devenue un pays industriel, et l’effet de l’industrialisation sur ses campagnes s’est manifesté d’abord par un exode rural considérable puis, avec un certain décalage, par une rapide modernisation qui lui confère désormais une incontestable puissance parmi les agricultures méditerranéennes, tant par ses productions que par ses potentialités. Toutefois, cette transformation s’est effectuée dans le droit fil d’une politique conservatrice qui n’a pas réellement mis en cause les inégalités sociales héritées et ne s’est jamais inscrite dans le cadre d’un aménagement du territoire.

Caractères généraux

En 1989, 13 p. 100 de la population active était employée dans l’agriculture, qui fournissait 5 p. 100 du produit intérieur brut. Dans l’ensemble, l’agriculture espagnole assure la consommation nationale en denrées alimentaires ; elle permet, en outre, des exportations et conserve une réserve de puissance qui la rend redoutable aux yeux des voisins européens. Cependant, elle conserve un certain nombre d’archaïsmes économiques et sociaux dont les séquelles viennent s’ajouter aux problèmes classiques des agricultures modernes des pays développés.

L’archaïsme des structures sociales

Alors que plus de la moitié des exploitations espagnoles couvrent moins de 5 hectares, 1,5 p. 100 seulement disposent de près de la moitié de la surface cultivée. De nombreux grands propriétaires considèrent encore la terre comme un placement et non comme un investissement. En effet, dans une économie dont le moteur fut traditionnellement l’inflation, seule la terre garde sa valeur. À l’autre bout de l’échelle sociale, 1 million de journaliers et 3 millions de propriétaires de moins de 1 hectare manquent de travail et de terre. Le jugement de Jovellanos il y a deux siècles demeure valable : « Des terres sans bras, des bras sans terre. »

La réforme agraire fut éludée au bénéfice d’une politique coûteuse de « colonisation ». Depuis 1956, l’Institut national de colonisation a mis en irrigation plus de 800 000 hectares, construit de nombreux villages et distribué, en accession à la propriété, plusieurs dizaines de milliers de lots. Il n’est guère de campagne espagnole où ne surgisse un de ces villages aux maisons semblables habitées par de petits colons. Mais si plus de 500 000 hectares furent transférés de grands propriétaires à l’Institut, ce furent souvent les plus mauvaises terres, et aux meilleurs prix, et le bénéfice de l’irrigation apparaît comme une prestation de la collectivité au bénéfice de quelques grands propriétaires.

L’insuffisance des circuits commerciaux

Ce n’est pas un des moindres paradoxes de l’Espagne contemporaine de la voir produire la majeure partie du coton que nécessitent ses industries textiles, alors qu’elle importe la viande, le maïs, les conserves de légumes et de fruits que réclame son marché intérieur. Cela tient à un réseau de distribution mal organisé et dont l’équipement frigorifique est insuffisant. En 1968, seulement, fut créé un organisme autonome chargé d’organiser les marchés agricoles (F.O.R.P.P.A.). Le bénéfice du conditionnement des produits agricoles exportés échappe fréquemment aux Espagnols ; c’est le cas, par exemple, pour les olives de table mises en bocaux aux États-Unis, les vins de Jerez (xérès) exportés en fûts ou l’huile d’olive préparée par les exportateurs italiens.

Les paysages agraires

La diversité de l’agriculture espagnole est le reflet de la diversité des climats mais aussi des sociétés rurales.

Les paysages du Nord atlantique

L’Espagne humide, de climat océanique, ne représente qu’un dixième du pays environ et constitue une frange très étroite à hauteur des Pyrénées, qui va de la Galice à la Catalogne septentrionale. Son aspect verdoyant en toutes saisons lui confère une forte originalité, renforcée généralement par un caractère montagneux et par des paysages ruraux le plus souvent marqués par la polyculture et la dispersion de l’habitat. La gamme étendue des cultures possibles se traduit par des rythmes annuels de travail absorbants, un travail acharné et une alimentation variée et copieuse bien éloignée de la frugalité méditerranéenne.

Le système de culture a reposé jusqu’à ces toutes dernières années sur l’association d’une agriculture à base de maïs et de l’élevage bovin. L’ensemble constituait un système intensif par la somme de travail investi et dans lequel l’existence de landes ou de prairies communes n’a jamais conduit aux pratiques de la vaine pâture, si contraignantes pour la localisation de l’habitat. Ce dernier est le plus souvent dispersé en hameaux dans le cadre d’un paysage bocager. Ces régions se sont spécialisées dans l’élevage bovin dès le début de ce siècle, notamment en Cantabrie pour les produits laitiers.

Les problèmes agraires sont ici ceux de vieux pays ruraux où une nombreuse paysannerie s’est trouvée à l’étroit sur ses terres, alimentant un exode rural considérable vers les centres industriels locaux des Asturies, de Cantabrie et du Pays basque et vers les pays industrialisés de l’Europe : Allemagne, France, Suisse dans le cas galicien. Cette émigration reprenait d’ailleurs une tradition d’émigration au-delà des mers dont la littérature a fait un de ses thèmes favoris (cf. La Regenta de Clarín). Toutefois, la dernière saignée est à l’origine d’une véritable dépopulation des campagnes et d’une chute inquiétante des taux de natalité au-dessous de 8 p. 1 000. Cela n’a pas résolu pour autant le problème posé par la fragmentation des exploitations. Aussi les nombreux très petits éleveurs qui ne peuvent produire l’alimentation de leur troupeau ont-ils largement recours aux aliments composés et au maïs importés. L’Espagne est un grand importateur de ces produits, que les États-Unis vendent à très bas prix.

Les campagnes céréalières

Les campagnes aux horizons immenses avec de gros villages couleur de terre constituent le paysage classique des régions intérieures, celles de « l’Espagne sèche et guerrière » (A. Machado). L’été, tout y est desséché alors qu’au printemps on pouvait voir, d’avion, il y a encore peu d’années, les regroupements de parcelles vertes et ocre montrant l’alternance du blé en herbe et des chaumes de l’année précédente, caractéristique du système año y vez.

C’est en Estrémadure que l’agriculture est le plus extensive, au point de donner l’impression d’un saltus aménagé pour les besoins de l’élevage transhumant des moutons et de celui du porc ibérique. Les terres cultivées y ont parfois l’allure de vastes clairières au milieu d’une forêt claire de chênes verts dont le nom même de dehesa (devèze) exprime bien le sens d’une mise en défens.

En Vieille-Castille et au León, les conditions climatiques éliminent pratiquement l’olivier et mettent parfois la vigne et le blé en difficulté, ce qui n’a pas empêché cette région de jouer le rôle d’un Midi presque méditerranéen pour les terres de la corniche cantabrique avant l’ère des chemins de fer. L’installation lors de la Reconquête d’une nombreuse paysannerie petite et moyenne s’est accompagnée de la mise en place d’un parcellaire laniéré et de pratiques communautaires dont on trouve encore parfois quelques vestiges. Mais, au début du siècle, la création du vignoble de masse de la Manche, désormais le plus étendu du monde, a privé la Vieille-Castille de ses ressources vinicoles, limitées désormais à quelques vins prestigieux. La Manche fut alors défrichée pour devenir une terre de vins de table avec ses centres vinicoles comme Daimiel, Valdepeñas, Manzanares.

Le bassin de l’Èbre est à la fois plus sec, compte tenu de la fréquence des sols squelettiques, des affleurements calcaires ou gypseux, mais aussi un des mieux pourvus en eau descendant vers l’Èbre par les torrents pyrénéens. De longue date s’y opposaient les « déserts » parcourus par les troupeaux de moutons descendus des Pyrénées et de véritables oasis disposées le long des rivières.

Toutes ces campagnes des régions intérieures se sont profondément transformées à partir du milieu des années soixante sous l’effet à la fois d’unepolitique volontariste d’extension des aires irriguées et de remembrement parcellaire et d’une émigration massive qui, après une période de désarroi, semble déboucher sur la mise en œuvre de nouveaux systèmes de culture et se traduit déjà, en Navarre et en Vieille-Castille, par une modernisation de l’agriculture aboutissant à des modèles d’une relative stabilité. Les terres sèches ont fait l’objet de transformations, notamment en Vieille-Castille : extension des exploitations par location de terres à des membres de la famille habitant désormais en ville, nouvelles cultures telles que l’orge, qui remplace de plus en plus le blé et sert à la nourriture du bétail, suppression de la jachère, enfin, et modernisation du train de culture.

Limitée d’abord aux vallées fluviales et aux fonds d’anciens lacs comme pour les vegas du Guadiana, gravitaire et, pour l’essentiel, d’initiative publique, l’irrigation est devenue plus générale et d’initiative privée avec l’exploitation des nappes comme dans la Manche. Cette expansion de l’irrigation s’accompagne d’ailleurs de nouveaux problèmes tenant à la surexploitation des nappes ou à l’eutrophisation des eaux des lacs de retenue.

Les huertas du Levant

Le rivage espagnol de la Méditerranée compte 2 232 kilomètres, les conditions climatiques y sont variées, et les plaines côtières ne prennent quelque ampleur qu’entre le cap de Gata et le delta de l’Èbre sous forme d’un glacis alluvial, d’une plaine marécageuse et d’une côte dunaire en voie de régularisation. L’agriculture, particulièrement soignée, y prend des formes différentes : les collines sèches sont plantées d’oliviers, de vignes, de caroubiers ou d’amandiers ; sur le glacis alluvial dominent les agrumes et les primeurs dans les vergers et jardins irrigués de longue date ; dans la basse plaine alluviale enfin, qu’il faut drainer pour cultiver, les rizières sont désormais en concurrence avec les installations industrielles. Connue dès l’époque romaine, l’agriculture irriguée a été portée à un très haut niveau de perfection par une petite paysannerie nombreuse. Le célèbre tribunal de l’eau de Valence, qui juge sans appel tous les jeudis, est une création islamique qui dure depuis plus d’un millénaire. De nombreuses plantes furent acclimatées par les Arabes dans leurs jardins d’agrément, et il s’en est toujours trouvé une pour se substituer à une précédente sur le déclin. L’agriculture commerciale est, en effet, très ancienne, et, au XVe siècle, la canne à sucre fournissait la république de Venise d’une denrée précieuse entre toutes. La sériciculture puis la culture des agrumes se succédèrent ensuite, et cette dernière est devenue un des fondements de la richesse agricole de la Communauté valencienne et de Murcie avec la culture des primeurs. L’agrumiculture, qui constitue désormais un véritable système agro-commercial, n’est pas pour autant à l’abri des crises, qu’elles proviennent de coups de froid, de parasites (tristeza) ou de l’engorgement des marchés. Deux problèmes se posent ici à l’agriculture : celui de l’alimentation en eau, améliorée depuis 1979 par le transfert des eaux du Tage vers le Segura et celui du grignotement des terrains agricoles par les villes et les terrains industriels.

Les problèmes agraires de l’Espagne méridionale

La règle générale, notamment dans l’Andalousie du Guadalquivir, est la concentration de la population agricole en gros bourgs, ou « agrovilles », dont 30 à 50 p. 100 des habitants sont des journaliers occasionnels. Ils cherchaient à s’employer dans les grandes exploitations céréalières (cortijos) ou oléicoles (haciendas) situées à la périphérie des finages ou à louer un lopin proche du village pour une durée limitée et un prix élevé. La misère a conduit une partie considérable de ces prolétaires à émigrer, dès les années cinquante, vers les régions industrielles espagnoles : Madrid, le Pays basque et, surtout, la Catalogne où ils se sont définitivement installés. À partir des années soixante, l’émigration hors des frontières devint massive, mais elle s’accompagne le plus souvent du retour au village. L’arrêt des départs, à partir de 1975, a fait surgir à nouveau le spectre du chômage, il est vrai atténué désormais par des mesures sociales. La mise sur pied, à partir de 1984, d’une réforme agraire à la fois productiviste et modérée n’a pas obtenu les effets escomptés. Si les campagnes des régions montagneuses se sont vidées de leurs habitants, celles de la plaine gardent encore des réserves de main-d’œuvre et ont les taux de natalité les plus élevés de la péninsule.

4. Villes et problèmes régionaux

En Espagne, les critères de division régionale peuvent être établis en fonction des différences culturelles, et la distinction s’impose alors entre les aires castillane, catalane, basque et galicienne, chacune pouvant s’appuyer sur un vecteur linguistique. Ils peuvent aussi se fonder sur la répartition de la population, qui oppose des régions intérieures peu peuplées et des régions littorales fortement urbanisées et densément peuplées. Enfin, on peut tenir compte de la répartition géographique de la richesse, qui fait apparaître des disparités régionales importantes. En tenant compte de tous ces critères, on peut regrouper les régions espagnoles en trois grands ensembles : les régions intérieures, qui représentent plus de la moitié de la superficie mais moins du quart de la population et où se posent des problèmes de transport et de réseau urbain notamment ; les régions développées de Catalogne, du Levant et de la corniche cantabrique, où se posent déjà des problèmes propres aux vieilles régions industrielles ; les régions peu développées de l’Ouest et du Midi, où tous les problèmes précédents viennent s’ajouter à ceux des retards de développement.

Toutefois, à l’intérieur de ce cadre général qui permet d’aborder les problèmes majeurs d’aménagement, il convient de faire une place aux régions autonomes que la Constitution de 1978 a instituées, renforçant les identités régionales et, au besoin, leur donnant naissance là où elles n’existaient pas.

Les régions intérieures

Prééminence politique et déclin économique

Les hauts plateaux de l’Espagne intérieure furent toujours difficiles d’accès, et les sierras qui en compartimentent l’espace ne sont guère favorables aux communications et aux échanges. La sécheresse n’y est guère propice à l’agriculture. Aussi bien sont-ils peu peuplés : les quatre régions autonomes de Castille-León, Castille-la Manche, Estrémadure et Aragon, sur une superficie de 262 675 kilomètres carrés, supérieure à celle du Royaume-Uni, ne comptaient, en 1989, que 6 682 000 habitants, soit une densité moyenne de 25 habitants au kilomètre carré. Il est vrai que Madrid n’est pas comptée, mais il n’empêche qu’il s’agit là du plus vaste ensemble géographique sous-peuplé de la Communauté européenne. Il n’en fut pas toujours ainsi, et, à l’époque des Rois Catholiques, la Vieille-Castille, par sa population, ses villes et ses activités, l’emportait sur toutes les autres régions d’Espagne, et l’élevage du mouton transhumant assurait un commerce actif de la laine avec l’Europe du Nord et fournissait la matière première aux industries textiles locales. C’est la Castille qui a réalisé l’unité espagnole, et, pour elle, le choix de Madrid pour capitale en 1561 semblait logique. Sa prééminence politique correspondait à sa suprématie économique. Mais cette dernière était déjà en déclin, tandis que les façades maritimes résistaient mieux à la crise qui frappait « les Espagnes ». Au XIXe siècle, l’industrialisation de la Catalogne puis celle du Pays basque mirent en question une prépondérance des régions intérieures que seul justifiait le centralisme de l’État. Au-delà de la rivalité quelque peu folklorique entre Madrid et Barcelone, c’était tout l’équilibre politique de l’Espagne qui se trouvait remis en question.

Les villes

Madrid a fini par constituer, dans les limites de sa province, une région autonome de près de 8 000 kilomètres carrés qui rassemblait en 1989 4 860 000 habitants, soit 42 p. 100 de toute la population de l’Espagne intérieure. Madrid n’a laissé place à aucune autre ville importante en Nouvelle-Castille, la seule ville importante, Albacete, se trouvant à l’entrée du Levant et Tolède, son doublet, n’étant guère plus qu’une cité prestigieuse d’art et d’histoire. Comme pour beaucoup de villes espagnoles et en raison des politiques foncières des municipalités, le contraste est accusé entre la ville et les campagnes environnantes, sauf au bord des axes ferroviaires et routiers le long desquels s’étirent les édifices à usage commercial et industriel. Longtemps dépourvue d’industries, capitale politique qui fut un enjeu symbolique durant la guerre civile, Madrid a bénéficié des efforts du régime franquiste ; celui-ci a fait de la ville un puissant centre financier qui est devenu aussi un grand centre industriel. Les industries mécaniques et alimentaires se disposent principalement en direction du sud (Getafe), tandis que la présence du pouvoir central, d’universités et d’un grand aéroport facilitait l’implantation d’activités de haute technologie. Les aides de l’État ont permis d’en améliorer les accès et l’urbanisme, qu’une rapide croissance alimentée par une intense immigration a rendu difficilement maîtrisable.

Dans le bassin de l’Èbre, Saragosse garde le prestige et le passé de la capitale politique qu’elle fut jusqu’au début des Temps modernes. C’est un important marché agricole et un centre d’industries alimentaires, métallurgiques et chimiques liées au développement de l’agriculture locale. Il s’y ajoute désormais l’énorme usine de General Motors, qui fournit plus de 10 000 emplois directs. Mais la croissance de Saragosse, à égale distance de Bilbao, de Barcelone et de Madrid, s’effectue dans le cadre d’un espace plus vaste que celui de l’Aragon et au détriment de l’ancien réseau urbain dont les petites villes dépérissent.

En Vieille-Castille, les villes moyennes sont nombreuses : Salamanque, Burgos, León constituent une ébauche de réseau urbain, et Valladolid fait figure de centre régional grâce à son université mais aussi à ses activités industrielles, avec notamment les usines Renault (qui ont également essaimé à Palencia).

Les régions économiquement développées

C’est, d’une part dans les pays asturo-cantabriques et dans les provinces basques, d’autre part dans les pays riverains de la Méditerranée et de culture catalane dominante, Catalogne, Communauté valencienne, Baléares, que l’activité économique s’est le plus nettement développée. Ces pays qui sont les plus proches du centre de l’Europe ont plusieurs traits en commun. Géographiquement, ils expriment l’association de la montagne et de la mer, dans laquelle il faut peut-être voir la clef de leur réussite économique, la vie maritime assurant leur développement commercial aux époques de sécurité et la montagne constituant un refuge pour les populations dans les périodes troublées. Leur avance en matière de développement s’y accompagne d’une forte identité territoriale au point de constituer de véritables nations dans le cas de la Catalogne et du Pays basque. Relativement peu peuplés et peu étendus par rapport aux pays de civilisation castillane, ils n’ont jamais pu jouer un rôle comparable à celui du Piémont en Italie et en retirent un sentiment de frustration et de supériorité mêlées à l’égard de « l’État espagnol ». Toutefois, ces pays sont aussi très différents les uns des autres par leur histoire et par leur dynamique actuelle. Les pays asturo-cantabriques doivent leur industrialisation à la présence du charbon et du fer, alors que les industries catalanes ou valenciennes ne doivent pas grand-chose aux ressources naturelles. En revanche, on retrouve au Pays basque comme en Catalogne ou dans le Levant une vieille tradition maritime et commerciale. Pays d’industrialisation ancienne, ils ont tous été frappés par la crise, bien qu’à des degrés divers. Toutefois, depuis 1975, le littoral méditerranéen fait preuve d’un dynamisme économique vigoureux soutenu par le tourisme, tandis que la corniche cantabrique s’enfonce dans une crise sans issue. Entre les deux s’esquisse un autre axe dynamique, le long de l’Èbre, qui profite à la Navarre et pourrait bénéficier aux trois autres provinces basques autonomes.

Les pays de civilisation catalane

Les pays catalans sont actuellement les mieux reliés au reste de l’Europe, notamment par l’autoroute littorale. Ils comptent deux des trois plus grandes agglomérations de la péninsule, Barcelone et Valence, et, autour de Barcelone dont on a pu dire que les villes catalanes étaient les rues, le réseau urbain le plus cohérent de la péninsule.

Barcelone constituait un site méditerranéen classique avec un port à l’abri d’une flèche de sable et une petite éminence au milieu de marais : le Taber. Mais surtout deux petites vallées, celle du Llobregat et celle du Besos, permettaient de franchir les montagnes littorales et même de pénétrer l’arrière-pays jusqu’aux Pyrénées. Lorsque la ville s’étendit au XIXe siècle, elle disposa de vastes espaces entre la chaîne littorale et la mer et, plus tard, des deltas des petits fleuves côtiers. La petite cité romaine de Barcino demeura le centre de la cité médiévale avec le palais de ses comtes. L’essor de la thalassocratie catalane au XIIIe siècle provoqua l’extension d’un nouveau quartier de l’autre côté du ravineau que suivent actuellement les allées qui mènent à la mer (ramblas). C’est par le biais du développement des industries textiles que Barcelone étendit son emprise sur la région, allant jusqu’à installer de petits centres industriels (colonias) le long des vallées pyrénéennes. Les industries textiles furent également à l’origine de la diversification des industries : métallurgie pour la fabrication des métiers, industries chimiques pour la teinture, etc. Une entreprise métallurgique comme La Maquinista terrestre y maritima, créée en 1855, participa largement à l’équipement de l’Espagne en chemins de fer. Barcelone tira son énergie électrique des torrents pyrénéens ; de nos jours, ses besoins en eau ne peuvent être assurés que par l’utilisation de l’Èbre. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’extension se fit entre la vieille ville et les villages de Sanz et de Gracia, au pied du mont Tibidabo, suivant un plan régulier de lotissement établi par Ildefonso Cerda. La ville passa de 145 000 habitants en 1845 à 500 000 au début du XXe siècle. À la veille de la guerre civile, elle était, avant Madrid, la première ville millionnaire de la péninsule. Elle fut, on le sait, un bastion républicain, et le nouveau régime lui fut peu favorable. La ville continua cependant à s’accroître en attirant des immigrants des provinces méridionales espagnoles qui s’entassèrent dans les bidonvilles périphériques. C’est l’époque où, sur le delta du Llobregat, furent construites les usines S.E.A.T. Les jeux Olympiques de 1992 furent l’occasion de mettre en route une vaste opération de rénovation urbaine : ouverture de la ville sur la mer, aménagement d’une voie rapide périphérique, prolongement de la voie diagonale, etc. Le port est le plus important d’Espagne, même si les hydrocarbures y sont peu présents puisqu’ils sont importés principalement par Tarragone, passée, en quelques années, du statut de petite ville historique à celui de grand centre pétrochimique, mais aussi touristique et universitaire.

Les deux autres communautés autonomes, celle de Valence et celle des Baléares, bénéficient, comme la Catalogne, du tourisme balnéaire le plus important de la péninsule. Porté à son degré le plus élevé aux Baléares, il y a entraîné une hausse exceptionnelle du niveau de vie, mais aussi une dégradation des sites. Connue pour être un exemple fameux de civilisation de l’eau, la Communauté valencienne est aussi un pays au tissu industriel serré, où les petites entreprises familiales voisinent avec de grandes multinationales (Ford), et où la diversité des activités et l’ancienneté de l’esprit d’entreprise ont permis de résister à la crise et même d’étendre encore des activités traditionnelles en les modernisant, telle la céramique autour de Castellón. La ville de Valence s’est considérablement accrue, constituant désormais une agglomération millionnaire qui englobe une partie de sa huerta et qui fut l’objet d’énormes travaux d’urbanisme : détournement du Turia à la suite des inondations de 1958, plan d’urbanisme (plan sud) à partir de 1966, etc. L’essor de cette région littorale s’est étendu à Alicante et atteint aujourd’hui la région autonome de Murcie.

Les foyers industriels asturo-cantabriques et le Pays basque

Dans le nord de la péninsule, la répartition du peuplement et des activités dépend étroitement des conditions naturelles. Le littoral ne s’élargit qu’aux Asturies et dans la région de Santander, mais il présente des sites portuaires exceptionnels sous forme de rías. La montagne est moins uniforme encore. À l’ouest, elle constitue une véritable barrière ; à l’est, la masse montagneuse est aérée par le couloir qui prolonge la ría du Nervión et les vallées qui le recoupent.

Il se pose un double problème de communications entre ces régions et l’intérieur d’une part, entre elles d’autre part. Le premier fut résolu lors de la construction des voies ferrées vers Madrid, qui refirent de Bilbao, de Santander et de Saint-Sébastien (San Sebastián) les débouchés qu’ils étaient autrefois pour les Castilles. Le second fut l’affaire de la navigation, qui aboutit à l’établissement d’échanges entre les Asturies et le Pays basque (charbon et minerai de fer).

On extrait des Asturies les deux tiers du charbon espagnol, que l’on utilise en partie sur place pour les industries sidérurgiques ou que l’on exporte vers Bilbao par les ports d’Avilés et de Gijón. Au total, la province compte plus d’un million d’habitants et deux villes de plus de 150 000 habitants : Oviedo et Gijón. Trois problèmes se posent ici : celui de la poursuite d’une exploitation de la houille, malgré un rendement médiocre dû autant aux conditions naturelles qu’à une organisation déficiente ; le problème de l’évacuation du charbon, exporté principalement par voie maritime, mais que l’on extrait dans les vallées du Nalón et du Caudal, à 50 kilomètres du littoral ; enfin, le problème de la diversification des secteurs industriels, dont l’éventail n’est pas assez ouvert, ce qui rend toute crise minière particulièrement aiguë.

La modernisation porte sur les installations industrielles proches du littoral : Avilés est désormais le premier centre sidérurgique d’Espagne et le plus moderne ; le port de Gijón Musel a été aménagé pour permettre l’exportation du charbon par de gros navires ; enfin, les entreprises sidérurgiques locales, avec l’appui de capitaux étrangers, créèrent ensemble un nouveau centre sidérurgique à Veriña.

De nos jours, toutefois, la concurrence internationale rend les entreprises locales déficitaires de manière chronique. Relevant du secteur public, H.U.N.O.S.A. pour les charbonnages et E.N.S.I.D.E.S.A. pour la sidérurgie emploient respectivement 18 000 et 10 000 personnes. Leur restructuration entraînerait la ruine de toute une région et de violents conflits sociaux, mais elle ne semble guère pouvoir être différée encore bien longtemps.

La région de Bilbao constitue un foyer industriel à la fois plus puissant et plus complexe que celui des Asturies. La présence de minerai de fer, qu’exploitèrent des sociétés étrangères à la fin du XIXe siècle, incita bien les Anglais, pour disposer d’un fret de retour sous forme de houille britannique, à stimuler la sidérurgie locale ; mais le pays était riche également de traditions commerciales et artisanales. Les forges et les constructions navales basques étaient célèbres depuis longtemps. Enfin, le patriciat local constitua de puissants groupes financiers dont les banques de Biscaye et de Bilbao représentent les plus importants.

Bilbao fut fondé en 1300 dans un site classique où un pont peut franchir aisément la ría du Nervión. Ce fut un port de pêche et de commerce important au Moyen Âge, mais elle doit son essor à la grande industrie, puisqu’elle passa de 18 000 habitants en 1860 à près de 100 000 au début du siècle. L’agglomération, qui s’étend jusqu’à la mer, le long de la ría, est actuellement, pour le nombre d’habitants, la troisième d’Espagne. Les usines métallurgiques, sidérurgiques et chimiques sont désormais à l’étroit dans les faubourgs de Baracaldo, Sestão et Portugalete. Aussi, le foyer industriel rayonne vers l’intérieur où la place ne manque pas, comme c’est le cas à Vitoria par exemple.

Le retard économique de l’Ouest et du Midi

Caractères communs

Dans la population de l’Ouest et du Sud, l’éloignement du centre de l’Europe et la faiblesse des secteurs secondaire et tertiaire sont à l’origine de revenus par tête parmi les plus faibles d’Espagne. Les personnes employées dans l’agriculture représentaient, en 1990 encore, plus du quart des actifs en Estrémadure et plus du tiers en Galice. Les seules industries se limitent en Galice aux ports d’El Ferrol (chantiers navals militaires), de La Corogne et surtout de Vigo (constructions automobiles), ces deux dernières villes ayant été promues au rang de pôles de développement. L’Estrémadure ne compte que quelques industries de transformation de produits agricoles, introduites dans le cadre du plan Badajoz de mise en valeur par irrigation de la vallée moyenne du Guadiana. Les activités industrielles de l’Andalousie ne concernent guère que les villes de la plaine : Linares, Cordoue et surtout Huelva, Séville et Cadix. De tous ces centres, Séville est le plus important (industries textiles, métallurgiques, alimentaires), les entreprises industrielles y sont de vastes dimensions mais actuellement en pleine crise. Le principal obstacle à l’industrialisation tient à la main-d’œuvre, certes abondante et à bon marché, mais manquant de formation professionnelle et même, parfois, de l’éducation de base nécessaire à toute formation. Dans ces conditions, les travaux publics sont davantage le fait de mesures sociales destinées à restreindre le chômage que d’une véritable politique d’industrialisation.

L’Exposition universelle de 1992 fut l’occasion d’une œuvre importante portant à la fois sur la réhabilitation des vieux quartiers, l’équipement des nouveaux et la mise en place d’infrastructures ferroviaires et routières bénéficiant à l’Andalousie tout entière.

L’isolement est particulièrement net pour la Galice, dont la position est excentrique parmi les régions espagnoles, à la manière de la Bretagne en France, mais il est renforcé par l’absence de communications ferroviaires avec d’autres points du pays, Madrid excepté. Il en est de même pour l’Estrémadure, où la voie ferrée Badajoz-Madrid par la sierra de Guadalupe reste à l’état de projet. Toutes ces contrées sont d’ailleurs séparées du reste de l’Espagne par des étendues montagneuses et peu peuplées. L’Estrémadure était même coupée du Portugal par un désert frontière. Partout se perpétuèrent les particularismes hérités d’une lointaine histoire. La Galice s’apparente au Portugal par la langue et les coutumes, l’Estrémadure garde son caractère de marche où la place forte de Badajoz, à la frontière portugaise, est la seule ville importante d’une région pourtant vaste comme la Belgique. Quant à l’Andalousie, reconquise tardivement sur les Maures au XIIIe siècle, puis au XVe, l’économie de plantation, qui remonte au moins à la mise en valeur romaine, s’y trouva renforcée par la faiblesse du repeuplement et la distribution de vastes domaines aux ordres militaires et aux compagnons du roi.

Originalités respectives

Dans ces pays ruraux, la population agricole active est composée de petits paysans en Galice et de journaliers en Estrémadure et en Andalousie. Les premiers émigraient traditionnellement vers l’Amérique par suite d’une pression démographique relativement élevée, qui ne fut atteinte que tardivement en Andalousie à cause de la diminution tardive des taux de mortalité. Depuis 1960 cependant, tous ces pays, sans exception, furent les plus concernés par l’émigration massive vers l’Europe industrielle. L’arrêt de ce flux, à partir de 1974, a entraîné le rétablissement du chômage dans les campagnes. La présence d’excédents de main-d’œuvre y est donc un trait commun et l’expression la plus claire d’un développement insuffisant. Ces pays de l’Ouest et du Midi relèvent de plusieurs ensembles géographiques : l’intérieur, la façade atlantique, la façade méditerranéenne, pour ne rien dire des Canaries, africaines et subtropicales. Cette constatation conduit, une fois de plus, à attester la part réduite tenue par le milieu physique dans les archaïsmes socio-économiques.