GÉOGRAPHIE SUISSE

À la charnière de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, dispersant ses eaux vers l’Adriatique, la mer du Nord et la mer Noire, la Suisse multiplie les contrastes géographiques. État continental enclavé, elle est cependant très largement ouverte aux courants du trafic international dont elle contrôle les principaux cols et tunnels. Pays essentiellement montagnard, jurassien et alpin, c’est dans le Moyen Pays des plateaux et collines qu’elle concentre la majorité de son potentiel économique et humain. À son étendue territoriale modeste répondent la densité de son peuplement, la variété de ses terroirs où l’agriculture se mêle à l’industrie. L’expansion contemporaine ajoute au pluralisme des langues et des cultures la présence d’une très nombreuse main-d’œuvre étrangère. Le portrait géographique de la Suisse résulte d’une superposition de traits qui se recouvrent sans coïncider : le cadre physique des grands ensembles naturels ; les zones d’influence des métropoles ; les particularismes des groupes ethniques alémanique, romanche, tessinois et romand. Dans cette synthèse de composantes, la nature a délimité vigoureusement des espaces, édicté des contraintes, dégagé des aptitudes, mais en nul autre pays européen la marque du travail des hommes n’est davantage présente dans les paysages.

La nature helvétique et la vie rurale

Avec 41 107 kilomètres carrés, la Suisse est un État exigu, qui s’inscrit dans un rectangle de 350 kilomètres sur 200. L’architecture de son relief s’articule en trois grands ensembles : le Jura, les Alpes et le Moyen Pays.

Le Jura

Le secteur jurassien, étendu de la Dôle, à la hauteur du Léman, jusqu’au chaînon des Lägern, au nord-ouest de Zurich, occupe 10 p. 100 de la superficie totale, mais il abrite près de 14 p. 100 de la population du pays contre 11,9 p. 100 en 1850. Cette région a donc pour originalité d’échapper au déclin démographique affectant, en général, la montagne européenne. Le Jura suisse comporte deux zones très différentes. Au sud-ouest de la ligne Moutier-Olten, par le Noirmont, on a une série de plis serrés, tombant abruptement sur le Moyen Pays, résultat d’une tectonique souple, où s’étirent des vals et des anticlinaux calcaires parallèles, culminant à plus de 1 600 mètres. Au nord-est, l’épaisseur moindre des sédiments et la proximité du socle hercynien sont responsables d’une tectonique cassante. Le plissement s’amortit en un Jura tabulaire, brisé de failles, troué de bassins, parcouru d’un dédale de cluses. Dans l’ensemble, c’est une barrière qu’échancrent de rares passages, vers la Franche-Comté (cols de Jougne, de Saint-Cergue, « Porte de France », au droit de Neuchâtel) et vers le sillon de l’Aar. Le climat de moyenne montagne océanique est beaucoup plus rude que ne le voudrait l’altitude, très humide, avec des étés frais, des hivers enneigés (la Brévine se pare de la dénomination de « Sibérie neuchâteloise »). La présence des marnes limite l’infiltration des eaux et les phénomènes karstiques et favorise la végétation. Celle-ci comprend un étage forestier de conifères et de feuillus, avec une pelouse alpine sur les sommets. Le milieu est peu favorable aux cultures, qui ont très fortement régressé. Les villages aux maisons massives, bien défendues contre le froid, vivent de l’élevage et de l’exploitation du bois, mais surtout de la mécanique et de l’horlogerie qui animent les bourgs étirés dans les vals. À l’orée de la plaine d’Alsace, Bâle, métropole excentrée et enserrée dans un étroit territoire, est la porte rhénane de la Confédération.

Les Alpes

Échafaudage géologique extrêmement complexe, le monde alpin couvre 58,5 p. 100 de la superficie de la Suisse, mais sa population, qui représentait 20, 7 p. 100 du total en 1850, est tombée à moins de 16 p. 100 en 1970. Les Alpes comprennent trois grands ensembles.

Au sud, les massifs cristallins forment un bastion de hautes montagnes, autour du « château d’eau » du massif Aar - Saint-Gothard, où les altitudes dépassent 4 000 mètres. Il est flanqué de trois ensembles moins élevés, découpés dans les schistes cristallins métamorphiques. La rangée méridionale des Pennines, qui domine le Rhône, entre le Grand-Saint-Bernard et le Simplon, dépasse encore 4     000 mètres dans le groupe Cervin-Mont-Rose. Elle se poursuit par le bloc tessinois des Lépontiennes, ébréché de cols (Simplon, San Bernardino, Splügen, Gothard) et plus fortement disséqué par le réseau du Tessin et les profonds lacs insubriens (Lugano, lac Majeur). À l’est, enfin, s’étendent les Rhétiques, où les schistes lustrés donnent des formes lourdes, surtout dans l’Albula, avec un réseau de hautes vallées, et, au Midi, un relief plus accentué, dans le Bernina et la Silvretta.

En avant des massifs cristallins, les Préalpes sont des empilements de nappes charriées, faites de roches sédimentaires, chevauchant la mollasse de l’avant-pays. Les Préalpes occidentales, du Léman à la Kander, sont constituées de deux châteaux de plis calcaires, les Préalpes vaudoises et l’Oberland bernois, encadrant une zone de flysch, aux sommets adoucis, découpée par la Simme et la haute Sarine, et toute feutrée d’herbages. Les Préalpes centrales, de la Kander à la Linth, sont les plus épaisses, avec la barrière escarpée de la Jungfrau-Titlis, dominant des montagnes aérées par un réseau de vallées branchées sur le lac des Quatre-Cantons. À l’est, longées par la dépression du lac de Walensee, qui relie Zurich au Rhin, les Préalpes orientales se relèvent et se ferment au trafic. Avec son climat continental, très contrasté et rude, la montagne alpine est inégalement favorable à l’homme. Les massifs cristallins, presque vides, fortement englacés, sont les plus hostiles, animés seulement par les stations touristiques et les barrages hydro-électriques. Les Préalpes forestières et pastorales, semées de maisons de bois très disséminées, surtout en pays alémanique, ont été le berceau de l’indépendance helvétique. Leur économie, fondée sur l’exploitation de la forêt et l’élevage bovin des races de Simmental et de Schwyz et renforcée par un tourisme d’été, puis d’hiver, a connu, dès les Temps modernes, une grande prospérité. Elles demeurent des montagnes consacrées à la production laitière, très humanisées. Mais, en dépit de l’aide spéciale que la Confédération accorde aux collectivités montagnardes, elles n’échappent pas au dépeuplement qui frappe l’ensemble de l’arc alpin. Les Grisons, plus secs et très ensoleillés, où un habitat permanent existe à de fortes altitudes, ont davantage encore une vie sylvopastorale menacée et s’orientent de plus en plus vers le tourisme.

En fait, les activités se localisent, avant tout, dans les vallées. Les unes, transversales, sont perpendiculaires à l’axe de la chaîne et permettent d’accéder aux cols du faîte alpin. La Suisse primitive, autour du lac des Quatre-Cantons, avec ses opulents prés-vergers, représente le paysage helvétique classique, et son prolongement, par l’axe Reuss-Tessin, a, de part et d’autre du Gothard, déterminé le destin historique du pays. Mais les vallées les plus originales sont de profonds sillons tectoniques longitudinaux, recreusés et calibrés par les glaciers quaternaires : ainsi le Valais, avec l’ensemble de ses vals, tributaires de la rive gauche du Rhône, et son symétrique, le Rheintal grison ; l’Engadine, dont les paliers sont parcourus par l’Inn ; au sud, la faille insubrienne qui a guidé le tracé du Tessin inférieur et la tête des lacs. Enfoncés dans le relief, ourlés de cônes de déjection propices aux habitats, ces domaines sont, au plein sens du terme, des régions « naturelles ». Leur climat sec, réchauffé par le föhn, fait remonter au cœur de la masse alpestre la limite de la culture du blé, du maïs, des arbres fruitiers et de la vigne, surtout sur les versants d’adret, semés d’habitations secondaires et parcourus de « remues » entre les différents niveaux d’exploitation et de peuplement. L’industrie, par contre, sauf en lisière du Moyen Pays, ne s’est guère installée dans ces vallées, sinon sous la forme d’un équipement hydro-électrique dont l’énergie est exportée et d’usines d’électrochimie et d’électrométallurgie, d’une conception ancienne maintenant dépassée. La tonalité méridionale est particulièrement nette au Tessin, avec les châtaigneraies des hauts vals, les treilles de vigne et les plantes méditerranéennes et exotiques des rives lacustres. Là encore, le tourisme et le climatisme d’été ont reçu, surtout en Valais et en Engadine, le puissant appoint des stations de ski de haute altitude.

Le Moyen Pays

Le plateau suisse des francophones, le Mittelland des alémaniques est la région vitale de la Confédération. Elle représente 31,5 p. 100 de sa superficie, mais déjà 67,4 p. 100 des habitants en 1850 et plus de 70 p. 100 actuellement. Le Moyen Pays est une zone déprimée, un couloir entre Jura et Alpes, allongé sur 250 kilomètres et dont la largeur varie de 30 à 70 kilomètres. Sous l’uniformité apparente des paysages, c’est un fouillis de collines, d’une altitude de 500 à 800 mètres, qui se relèvent au contact des Alpes. Il s’agit d’une immense dépression, au fond ondulé, comblée de mollasses tertiaires et recouverte d’un manteau de Quaternaire fluvio-glaciaire. Ce matériel détritique tendre a été lacéré par l’érosion, qui a disséqué le relief. L’allure générale est celle d’une gouttière aux versants dissymétriques. À l’ouest, la limite est très nette avec le plongement des plis calcaires, dominant l’auge subjurassienne, occupée par les plaines de l’Orbe, de la basse Broye, par les lacs de Neuchâtel, Bienne et Morat, et par l’Aar inférieure. Elle est par contre beaucoup plus floue à l’est où la mollasse a été englobée par l’orogenèse alpine en une lisière de véritables montagnes (Gibloux, Napf, Righi, Rossberg, Speer, Gäbris), hautes de 1 200 à près de 2 000 mètres. Les « Préalpes de Saint-Gall », au nord du Walensee, sont, en fait, constituées de mollasse fortement redressée. La glaciation quaternaire a provoqué la formation de nombreux lacs de creusement et de barrage, parfois à demi engagés dans la masse alpestre. On a, aux deux extrémités du Mittelland, les vastes nappes du lac Léman et du lac de Constance (Bodensee), mais le phénomène lacustre est surtout présent dans la partie centrale (Sempach, Baldegg, Hallwil, nord du lac de Zoug, Zurich, Greifen). Au débouché des lacs, sur les effluents, de remarquables sites urbains contrôlent les portes du monde alpin. À l’est du sillon subjurassien, les aspects du Moyen Pays sont très variés. Dans la Suisse occidentale, romande, où les sommets ne dépassent pas 1 000 mètres, dominent, comme dans le Jorat ou le Gros de Vaud, les formes de plateaux, allongés parallèlement au front préalpin. La Singine, la Sarine, l’Aar ont incisé dans la mollasse des canyons dont le franchissement est malaisé. Le centre est occupé par la masse arrondie du Napf et par de larges croupes entre lesquelles sinuent l’Aar et la Reuss où dorment des lacs. En Suisse orientale, l’écharpe du Moyen Pays atteint, en arrière du Rhin et du lac de Constance, sa plus grande extension. Les gondolements profonds du socle donnent des dos de conglomérats, les Eggen, séparés par de larges dépressions marneuses, les Tobel, aux horizons dégagés.

Le climat du Mittelland est semi-continental, modérément enneigé, mais les hivers y sont froids et souvent brumeux, et les chaleurs estivales fortes. Le Mittelland est bien arrosé, avec un maximum de saison chaude, sauf à l’abri direct du Jura. Les rives des grands lacs abritent des microclimats qui ignorent presque les gelées et sont très propices aux vignobles. Dans l’ensemble, les sols de dépôts morainiques remaniés dominent, avec quelques placages de limons et des alluvions fluviales ou lacustres, souvent très fertiles. Le paysage de champs ouverts et laniérés est le plus fréquent avec des villages ou hameaux groupés, entourés de vergers, et des maisons paysannes cossues, surtout dans le pays bernois. La campagne, verdoyante, est extrêmement humanisée, très soignée et densément peuplée avec, surtout en Suisse allemande, une interpénétration des régions agricoles et des bourgs urbanisés et industrialisés. Les paysans ont déployé une extrême ingéniosité pour combiner des systèmes de culture aux assolements savants. Dans le canton de Genève, le sillon subjurassien (Seeland) et la vallée du Rhin, la dominante est aux céréales et au colza, associés aux plantes industrielles. L’« agriculture pour le bétail », mêlant cultures sarclées et cultures fourragères, est la plus répandue. La part des prairies artificielles s’accroît dans le Moyen Pays alémanique du Centre et du Nord-Est.

La population et les grands espaces économiques

Les forces de production

La population de la Suisse est, pour près de 90 p. 100, établie dans les zones d’altitude inférieure à 700 mètres. Le total des habitants est passé de 2,66 millions en 1870 à 3,8 en 1900, à 4,7 en 1950, à 5,429 en 1960, à 6,534 en 1985 et à 7,142 en 2000. La densité de 173 personnes au kilomètre carré en 2000 est l’une des plus fortes de l’Europe occidentale, et ce chiffre prend toute sa signification si l’on observe que près d’un quart du sol est improductif et un autre quart couvert de montagnes et de lacs. Après un fléchissement accentué, de 1900 à 1940, le dynamisme démographique s’est amélioré, mais demeure modeste, avec un taux de natalité de 11 p. 1 000 pour 2000 et une mortalité de 8,8 p. 1000, qui laissent un taux d’accroissement naturel de 2,2 p. 1 000. L’émigration des Suisses, très forte dès le XVIe siècle et qui l’est demeurée relativement jusqu’au lendemain de la crise mondiale des années trente, est tombée à des valeurs très faibles, de 1 700 départs annuels. La Confédération, en revanche, est traditionnellement une terre d’accueil, des protestants du « Refuge » aux proscrits politiques du XIXe siècle. À partir de 1890, avec l’industrialisation massive née de la houille blanche, commence l’afflux des travailleurs étrangers. Les non-Suisses sont déjà 600 000 en 1914 (15,4 p. 100 du total) et atteignent en 1969 le chiffre record de 991 000 (16,1 p. 100). La « surchauffe » économique, à partir de 1950, augmente l’effectif des travailleurs étrangers, résidents, saisonniers ou frontaliers, si bien que, dès 1963, les autorités prennent des mesures de contingentement. Le nombre des étrangers soumis au contrôle était, en 1985, de 1,019 million (15,6 p. 100 de la population totale et 19,6 p. 100 en 2000), dont 175 000 travailleurs à l’année ou saisonniers et 106   800 frontaliers. Les Italiens sont les plus nombreux, suivis des Espagnols, des Français et des Portugais. La surpopulation étrangère (Überfremdung) est un problème qui perd l’acuité qu’il revêtait dans les années 1970. La composition ethnique de la population suisse montre une lente progression de l’élément alémanique (72,7 p. 100 en 1910 et 73,5 p. 100 en 1980) et italien (3,9 et 4,5 p. 100) au détriment des groupes francophone (22,1 et 20,1 p. 100) et romanche (1,2 et 0,9 p. 100).

Les grands espaces économiques

La réalité régionale helvétique échappe, de plus en plus, au découpage des cadres physiques pour s’ordonner en régions polarisées par quelques métropoles, détentrices des pouvoirs d’incitation et de décision. La prépondérance humaine du Moyen Pays, où la circulation aisée homogénéise l’espace, a facilité cette nouvelle répartition des activités. Cependant, si la concentration économique s’accroît, elle n’a pas entraîné, comme dans les pays centralisés, le dépérissement ou la stagnation des villes subordonnées. La fédéralisme a conservé à bien des centres des fonctions politiques et sociales de capitale. Le taux d’urbanisation est élevé : les 33 agglomérations, au sens suisse (communes de moins de 10 000 habitants, reliées à un noyau urbain de plus de 10 000 âmes), représentent, en 1985, avec 3 694 577 habitants, 58 p. 100 de la population totale. La coupure entre ville et campagne n’est jamais très nette, avec un semis de fabriques et d’immeubles dans un paysage rural et une absence de gigantisme urbain (5 villes seulement ont plus de 100 000 habitants dans leurs limites municipales et dénombrent, au total, 957 000 âmes). Aucune partie du territoire n’échappe vraiment à l’influence des deux points forts du réseau urbain, Bâle et Zurich, qui abritent les sièges de toutes les grandes banques et les états-majors industriels et commerciaux. Le groupe bâlois, avec un demi-million de dépendants, centre de l’industrie chimique, déborde sur le Jura du Nord, la porte de Bourgogne, l’Alsace et le pays de Bade, aire d’attraction de la Regio basiliensis. Zurich, dans un site de moraine lacustre terminale, et son canton (1,13 million d’habitants) rayonnent sur une nébuleuse de satellites qui s’étendent dans le Mittelland et le long des rives du lac. Les plus fortes densités sont enregistrées dans le « triangle d’or » industriel, dont les sommets sont Bâle, le canton de Lucerne (306 000 habitants) et Winterthour (110 000 habitants), voués à la construction des machines, aux industries de précision, aux textiles. Il mord sur le bord du Jura, autour d’Olten (250 000 travailleurs) et les débouchés alpins (région de Zoug : 110 000 salariés). La polarisation zuricho-bâloise s’exerce directement sur la Suisse nord-orientale, dans les cantons de SaintGall (400   000 habitants) et de Schaffhouse (70 000 habitants), à forte vocation textile, ainsi que sur le Jura, à mono-industrie horlogère, dont la capitale industrielle est La Chaux-de-Fonds, et sa lisière (dans les villes de Soleure, 57 000 habitants, de Bienne, 85 000, de Neuchâtel, 67 000), tout comme sur le rebord alpin (Berne, 310 000 habitants).

La présence alémanique, par le processus des concentrations et des fusions – auquel a échappé Nestlé, dont le siège est à Vevey – n’épargne pas la conurbation lémanique, du canton de Genève (366 000 habitants dont 34,6 p. 100 d’étrangers et 25 000 frontaliers) au pays de Vaud (Lausanne, 258 000 habitants), tout comme les cités ; très vivantes, du Valais (Sion, 23 000 habitants ; Sierre, 13 000), et s’exerce fortement au Tessin (278 000 habitants), dans les centres du Sotto-Ceneri, Lugano (30 000 habitants) et Bellinzona (17 000 habitants).