DUCHÉ DE BOUILLON

 

Actuellement ville de Belgique (province de Luxembourg), Bouillon fut sous l’Ancien Régime le centre d’un petit État protégé par le roi de France. C’est à l’origine une possession des comtes d’Ardennes. Godefroi de Boulogne (mort en 1100), fils d’Ide d’Ardennes, reçut château et seigneurie de Bouillon de son oncle maternel Godefroi le Bossu, duc de Lorraine, et par là fut connu à travers les siècles sous le nom de Godefroi de Bouillon ; il mourut à Jérusalem comme avoué du Saint-Sépulcre. Avant de partir pour la croisade, il avait vendu Bouillon à Otbert, évêque de Liège (1096), et les évêques de cette ville s’en dirent depuis lors seigneurs puis ducs, à partir de Jean de Heinsberg (1419-1455) ; malgré l’usurpation des La Marck, sanctionnée par des traités internationaux, les évêques de Liège se qualifièrent ducs de Bouillon jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Évrard III de La Marck, seigneur d’Aremberg (mort en 1440), acheta Sedan et Florenville en 1424 à son beau-frère, le seigneur de Braquemont et eut ainsi, dès cette époque, le commandement de la prévôté et la recette de Bouillon. Ses fils Jean et Louis furent gouverneurs de Bouillon et commandaient le château. Dernier fils de Jean, Guillaume de La Marck, le Sanglier des Ardennes (mort en 1485), s’empara de Liège, tua l’évêque Louis de Bourbon et reçut du nouvel évêque, par le traité de Tongres (1483), le duché de Bouillon en engagement, qu’il céda (1484) à son frère aîné Robert Ier de La Marck (mort en 1489), déjà seigneur de Sedan et sous la protection de Charles VIII (1486). Louis XII donnait le titre de duc de Bouillon aussi bien à l’évêque de Liège qu’à La Marck, simple engagiste, dans l’attente du remboursement de sommes dues par Liège.

Robert II perdit Bouillon du fait de Charles Quint, qui pensait avec raison que ce n’était qu’un fief du Saint Empire, relevant du cercle de Westphalie. Robert IV acheta Raucourt et aurait été le premier à se titrer prince de Sedan et Raucourt (1549-1550) ; la conquête de Bouillon par Anne de Montmorency fit donner ce fief par Henri II à Robert IV, mais cela ne dura guère, le traité de Cateau-Cambrésis (1559) faisant rendre Bouillon à l’évêque de Liège. Henri-Robert de La Marck, qui garda le titre de duc de Bouillon, devint réformé, épousa une Bourbon Montpensier ; de ce mariage naquit Guillaume-Robert (mort en 1588), duc de prétention et toujours prince de Sedan, qui transmit par testament (1587) ses possessions et prétentions à sa sœur Charlotte, épouse d’Henri de La Tour, vicomte de Turenne et d’Oliergues, calviniste, maréchal de France (mort en 1623). Le contrat de mariage de Charlotte et d’Henri (1591) établissait une donation mutuelle entre eux et fut complété par des transactions avec des collatéraux, après la mort de Charlotte sans postérité (1594).

Henri de La Tour se remaria avec Élisabeth de Nassau, fille du Taciturne, et établit un ordre successoral nouveau, en faveur de la descendance qu’il en eut. Son fils cadet Henri de La Tour (mort en 1675) fut le grand vicomte de Turenne, maréchal général des camps et armées du roi, et l’aîné Frédéric-Maurice (mort en 1652) renonça à Bouillon (1641), où il ne régnait pas, contre des florins versés par Liège ; puis il perdit Sedan et Raucourt (1642), le roi le châtiant de ses intrigues (complot de Cinq-Mars), mais il se fit reconnaître par lui le titre de prince étranger (1647), ce qui fut plusieurs fois confirmé (encore en 1652). 1651 vit le chef des La Tour devenir duc d’Albret et de Château-Thierry, pair de France, comte d’Auvergne, d’Évreux, de Beaumont, etc.

La guerre de Hollande créa l’occasion espérée et, l’évêque de Liège ayant pris parti contre le roi, Louis XIV fit occuper Bouillon (1676) et donna le duché « souverain » à Godefroi Ier de La Tour, duc des précédents duchés, grand chambellan de France (mort en 1714), ce qui fut ratifié par les traités de Nimègue (1679) et Ryswick (1697) ; reconnu duc de Bouillon par le roi et l’empereur, Godefroi Ier mit sa maison au pinacle. On connaît son orgueil et celui du cardinal de Bouillon son frère : les La Tour se voulaient alors issus des antiques ducs d’Auvergne ! Ses fils et petits-fils se déclarèrent ducs par la grâce de Dieu, mais résidaient au magnifique château de Navarre près d’Évreux, ne mettant pour ainsi dire jamais les pieds à Bouillon. Centre d’idées révolutionnaires, avec ses imprimeries d’ouvrages subversifs, Bouillon déversa sur l’Europe un flot d’irreligion et d’immoralité tandis que son duc, maçon, faisait connaître l’orient de Bouillon. Avant la Révolution, Godefroi III régnait sur neuf lieues carrées et 12 000 habitants, château et dépendances ayant garnison française, le conseil souverain du duché siégeant d’ailleurs à Paris en l’hôtel de Bouillon. Le duc Godefroi III (mort en 1792), n’ayant qu’un fils infirme et sans postérité (Jacques, mort en 1802), désigna pour lui succéder de très lointains cadets, les La Tour d’Auvergne d’Apchier, qu’il n’aimait pas parce que n’étant pas assez brillants (en 1769, ces cousins prétendirent à Bouillon ; ils s’éteignirent en 1896), puis s’enticha d’un officier de marine anglais, Philippe Dauvergne, qu’il reconnut cousin et qu’il fit reconnaître comme héritier en 1786. Il mourut en 1816 après avoir essayé de récupérer « son » duché en 1815, mais comme il n’avait lui-même pas d’héritier, il fut admis par tous (1791) que le prince de Tarente (un cousin La Trémoille) lui succéderait. Vivant dans la débauche à Navarre, Godefroi III accepta la Révolution à Bouillon et son fils Jacques avalisa les réformes (1793).

1794 vit la naissance de la République bouillonnaise, annexée à la France de 1795 à 1814 ; l’ex-duc devenu citoyen La Tour végétait à Paris où il mourut. En 1814, le vice-amiral britannique d’Auvergne (ex-Dauvergne) se déclara duc et Bouillon reconnut ce Philippe Ier, représenté par le prince de Tarente. Durant ce temps, Charles, prince de Rohan, duc de Montbazon et plus direct héritier des ducs Godefroi III et Jacques, se réclamant de la substitution de 1696, essaya de se faire reconnaître duc à Vienne. Le traité de ce nom décida que le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, serait souverain de Bouillon rattaché au Luxembourg, mais que les terres et biens du duché seraient attribués à la partie dont les droits seraient légalement constatés. Bouillon passait encore dans l’orbite de la France, sa garnison obéissant à Napoléon revenu puis à Louis XVIII. Le roi grand-duc fut en fin de compte maître des lieux et la commission arbitrale prévue à Vienne se réunit à Leipzig en 1816 : elle adjugea le duché, et les droits aux indemnités pour la perte de la souveraineté dus par le roi grand-duc, au prince de Rohan, petits-fils d’une sœur de Godefroi III. Philippe d’Auvergne se suicida et le prince de Rohan (mort en 1836) fut mis en possession des biens et eut un premier versement néerlandais. Une conjonction d’héritiers plus lointains éleva des prétentions contre le duc. Le congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) laissa le roi grand-duc maître de la situation ; il attribua les biens et les versements aux contestataires du règlement de Leipzig et le prince de Rohan perdit tout, alors qu’il avait le droit pour lui (1825). Les domaines furent vendus en 1840. Bouillon se prononça pour la Belgique en 1830.